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Ou Paris ruiné doit avoir devant l’homme ;
Lorsque la solitude, enfin libre et sans bruit,
Pourra continuer ce qu’elle fait la nuit,
Si quelque être animé veille encor dans la plaine,
Peut-être verra-t-il comme sous une haleine
Soudain un pâle éclair de ta tête jaillir,
Et la colonne au loin répondre et tressaillir !
Et ses soldats de cuivre et tes soldats de pierre
Ouvrir subitement leur pesante paupière !
Et tous s’entre-heurter, réveil miraculeux !
Tels que d’anciens guerriers d’un âge fabuleux
Qu’un noir magicien, loin des temps où nous sommes,
Jadis aurait faits marbre et qu’il referait hommes !
Alors l’aigle d’airain à ton faîte endormi,
Superbe, et tout à coup se dressant à demi,
Sur ces héros baignés du feu de ses prunelles
Secouera largement ses ailes éternelles !
D’où viendra ce réveil ? d’où viendront ces clartés ?
Et ce vent qui, soufflant sur ces guerriers sculptés,
Les fera remuer sur ta face hautaine
Comme tremble un feuillage autour du tronc d’un chêne ?
Qu’importe ! Dieu le sait. Le mystère est dans tout.
L’un à l’autre à voix basse ils se diront : Debout !
Ceux de quatre vingt-seize et de mil huit cent onze,
Ceux que conduit au ciel la spirale de bronze,
Ceux que scelle à la terre un socle de granit,
Tous, poussant au combat le cheval qui hennit,
Le drapeau qui se gonfle et le canon qui roule,
A l’immense mêlée ils se rueront en foule !
Alors on entendra sur ton mur les clairons,
Les bombes, les tambours, le choc des escadrons,
Les cris, et le bruit sourd des plaines ébranlées,
Sortir confusément des pierres ciselées,
Et du pied au sommet du pilier souverain
Cent batailles rugir avec des voix d’airain.
Tout à coup, écrasant l’ennemi qui s’effare,
La victoire aux cent voix sonnera sa fanfare.