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Absorbant par degrés forêt, coteau, gazon,
Quand la nuit sera noire, emplir tout l’horizon !
Oh ! dans cette heure sombre où l’on croit voir les choses
Fuir, sous une autre forme étrangement écloses,
Quelle extase de voir dormir, quand rien ne luit,
Ces champs dont chaque pierre a contenu du bruit !
Comme il tendra l’oreille aux rumeurs indécises !
Comme il ira rêvant des figures assises
Dans le buisson penché, dans l’arbre au bord des eaux,
Dans le vieux pan de mur que lèchent les roseaux !
Qu’il cherchera de vie en ce tombeau suprême !
Et comme il se fera, s’éblouissant lui-même,
A travers la nuit trouble et les rameaux touffus,
Des visions de chars et de passants confus !
Mais non, tout sera mort. – Plus rien dans cette plaine
Qu’un peuple évanoui dont elle est encor pleine,
Que l’œil éteint de l’homme et l’œil vivant de Dieu !
Un arc, une colonne, et, là-bas, au milieu
De ce fleuve argenté dont on entend l’écume,
Une église échouée à demi dans la brume !
O spectacle ! – ainsi meurt ce que les peuples font !
Qu’un tel passé pour l’âme est un gouffre profond !
Pour ce passant pieux quel poids que notre histoire !
Surtout si tout à coup réveillant sa mémoire,
L’année a ce soir-là ramené dans son cours
Une des grandes nuits, veilles de nos grands jours,
Où l’empereur, rêvant un lendemain de gloire,
Dormait en attendant l’aube d’une victoire !

Lorsqu’enfin, fatigué de songes, vers minuit,
Las d’écouter au seuil de ce monde détruit,
Après s’être accoudé longtemps, oubliant l’heure,
Au bord de ce néant immense où rien ne pleure,
Il aura lentement regagné son chemin ;
Quand dans ce grand désert, pur de tout pas humain,
Rien ne troublera plus cette pudeur que Rome