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                   XXXV

Les autres en tout sens laissent aller leur vie,
Leur âme, leur désir, leur instinct, leur envie.
Tout marche en eux, au gré des choses qui viendront,
L’action sans l’idée et le pied sans le front.
Ils suivent au hasard le projet ou le rêve,
Toute porte qui s’ouvre ou tout vent qui s’élève.
Le présent les absorbe en sa brièveté.
Ils ne seront jamais et n’ont jamais été ;
Ils sont, et voilà tout. Leur esprit flotte et doute.
Ils vont, le voyageur ne tient pas à la route,
Et tout s’efface en eux à mesure, l’ennui
Par la joie, oui par non, hier par aujourd’hui.
Ils vivent jour à jour et pensée à pensée.
Aucune règle au fond de leurs vœux n’est tracée ;
Nul accord ne les tient dans ses proportions.
Quand ils pensent une heure, au gré des passions,
Rien de lointain ne vient de derrière leur vie
Retentir dans l’idée à cette heure suivie ;
Et pour leur cœur terni l’amour est sans douleurs,
Le passé sans racine et l’avenir sans fleurs.


Mais vous qui répandez tant de jour sur mon âme,
Vous qui, depuis douze ans, tour-à-tour ange et femme,
Me soutenant là-haut ou m’aidant ici-bas,
M’avez pris sous votre aile ou calmé dans vos bras ;
Vous qui, mettant toujours le cœur dans la parole,
Rendez visible aux yeux, comme un vivant symbole,
Le calme intérieur par la paix du dehors,
La douceur de l’esprit par la santé du corps,
La bonté par la joie, et comme les dieux même
La suprême vertu par la beauté suprême ;
Vous, mon phare, mon but, mon pôle, mon aimant !