Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Les ondes que toi seul, ô Dieu, comptes et nommes ;
L’air qui fuit ; le caillou par le ruisseau lavé ;
Et tout ce que, chargés des vains projets des hommes,
Le soc dit au sillon et la roue au pavé ;

Et la barque, où dans l’ombre on entend une lyre,
Qui passe, et loin du bord s’abandonne au courant ;
Et l’orgue des forêts qui sur les monts soupire ;
Et cette voix qui sort des villes en pleurant !

Et l’homme qui gémit à côté de la chose ;
Car dans ce siècle, en proie aux sourires moqueurs,
Toute conviction en peu d’instants dépose
Le doute, lie affreuse, au fond de tous les cœurs !

Et de ces bruits divers, redoutable ou propice,
Sort l’étrange chanson que chante sans flambeau
Cette époque en travail, fossoyeur ou nourrice,
Qui prépare une crèche ou qui creuse un tombeau !




— L’orient ! l’orient ! qu’y voyez-vous poëtes ?
Tournez vers l’orient vos esprits et vos yeux ! —
« Hélas ! ont répondu leurs voix longtemps muettes,
Nous voyons bien là-bas un jour mystérieux !

« Un jour mystérieux dans le ciel taciturne,
Qui blanchit l’horizon derrière les coteaux,
Pareil au feu lointain d’une forge nocturne
Qu’on voit sans en entendre encore les marteaux !

« Mais nous ne savons pas si cette aube lointaine
Vous annonce le jour, le vrai soleil ardent ;
Car, survenus dans l’ombre à cette heure incertaine,
Ce qu’on croit l’orient peut-être est l’occident !