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Ce sont des fils maudits d’Eblis et de Satan,
Des turcs, obscur troupeau, foule au sabre asservie,

Esclaves dont on prend la vie,

Quand il manque une tête au compte du sultan.

« Semblable au Minotaure inventé par nos pères,
Un homme est seul vivant dans ces hideux repaires,
Qui montrent nos lambeaux aux peuples à genoux ;
Car les autres témoins de ces fêtes fétides,
Ses eunuques impurs, ses muets homicides,

Ami, sont aussi morts que nous.


« Quels sont ces cris ?… — C’est l’heure où ses plaisirs infâmes
Ont réclamé nos sœurs, nos filles et nos femmes.
Ces fleurs vont se flétrir à son souffle inhumain.
Le tigre impérial, rugissant dans sa joie,

Tour à tour compte chaque proie,

Nos vierges cette nuit, et nos têtes demain ! »


V

LA TROISIÈME VOIX.


« Ô mes frères, Joseph, évêque, vous salue.
Missolonghi n’est plus ! À sa mort résolue,
Elle a fui la famine et son venin rongeur.
Enveloppant les turcs dans son malheur suprême,
Formidable victime, elle a mis elle-même

La flamme à son bûcher vengeur.


« Voyant depuis vingt jours notre ville affamée,
J’ai crié : « Venez tous, il est temps, peuple, armée !
« Dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu.
« Recevez de mes mains, à la table céleste,

« Le seul aliment qui nous reste,

« Le pain qui nourrit l’âme et la transforme en Dieu ! »