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Ici des machines qui parlent, là des bêtes qu’on adore[1]. VOLTAIRE, l’Ingénu.


Tandis qu’en mon grenier, rongeant ma plume oisive,
Je poursuis en pestant la rime fugitive,
Que vingt pamphlets nouveaux, provoquant mon courroux,
Loin d’échauffer ma veine, excitent mes dégoûts,
Que tour-à-tour j’accuse, en ma rage inutile,
Et ce siècle fécond et mon cerveau stérile,
Ce maudit Télégraphe enfin va-t-il cesser
D’importuner mes yeux, qu’il commence à lasser ?
Là, devant ma lucarne ! il est bien ridicule
Qu’on place un télégraphe auprès de ma cellule !
Il s’élève, il s’abaisse ; et mon esprit distrait
Dans ces vains mouvements cherche quelque secret.
J’aimerais mieux, je crois, qu’on me forçât de lire
Ce nébuleux Courrier ; dont au moins je peux rire [2].

Flottant de doute en doute et d’espoir en espoir,
Parfois j’ai découvert ce que j’osais prévoir.
Bon ! me dis-je, à la France il annonce peut-être
Des ministres du Roi qui serviront leur maître ;
Sans doute on voit déjà les haines s’endormir,
Et le trône des Lys commence à s’affermir ;
— Ou, veut-on reléguer, malgré leur fureur vaine ;
Collard à Charenton, Guizot à Sainte-Hélène ?
Est-il vrai qu’un festin où Decaze a trempé
Renverse du fauteuil le Chef du canapé ?
Verrait-on la Doctrine immolée au Système ?
L’abbé, qui change tout, est-il changé lui-même ?
Va-t-il,

  1. ERRATUM. — Dans cette phrase de Voltaire (Ingénu, chap. XI), le copiste a substitué le mot machines au mot bêtes ; nous nous empressons de rendre aux bêtes ce qui leur appartient ; nous ne nions pas qu’elles ne parlent, car nous connaissons des gens prêts à nous prouver qu’elles écrivent.
  2. Tout nébuleux qu’il est, le Courrier est pourtant assez clair, lorsqu’il s’agit
    de quelque calomnie ou autre gentillesse.

    Je serais bien de ceux qui disent : ce n’est rien,
    C’est le Courrier qui calomnie ;


    mais cette insouciance tourne toute au profit de l’agresseur. Je demanderai donc la permission d’exhumer un paragraphe du Courrier (vendredi 1er octobre) relatif à une ode, intitulée les Destins de la Vendée.

    « M. Hugo, poète lauréat de Toulouse, inspiré par une fameuse notice de
    M. de Châteaubriand, vient de publier une ode sur la guerre de Vendée. Sous
    le charme de l’inspiration, le poète semble voir la Vendée en insurrection :

    Marches-tu, ceinte de tes armes,
    Au premier rang de nos guerriers ?


    Il voudrait du moins que la Vendée lui montrât des palais bâtis en
    reconnaissance nationale des exploits de ses guerriers :

    Montre-moi quels palais ont remplacé le chaume
    De tes rustiques chevaliers.


    Et quel est, suivant M. Hugo, trop fidèlement inspiré par M. de Chateaubriand, à qui, d’ailleurs, il a dédié son ode, quel est le plus beau titre des Vendéens à la reconnaissance nationale ? Ils ont vu fuir devant eux ces soldats terribles,

    Devant qui fuyait l’étranger.

    C’est-à-dire ils ont combattu et même vaincu des Français ! C’est ce qui fait dire à M. Edmond Gérand, dans la Ruche d’Aquitaine, « il y a tout à-la-fois poésie de sentiments, de pensées et d’expressions… l’on y remarque des traits
    d’un lyrisme parfait. »

    Ce petit article m’a appris une chose. Je savais bien qu’on ne pouvait pas lire le Courrier’, mais j’ignorais que le Courrier ne sût pas lire. Et en effet, un vieux prêtre prophétisant les destins de la Vendée adresse à l’armée royale ces vers :

    Vos guerriers périront ; mais toujours invincibles,
    S’ils ne peuvent punir, ils sauront se venger : —
    Car ils verront encore fuir ces soldats terribles,
    Devant qui fuyait l’étranger.
    Vous ne mourrez pas tous, sous des bras intrépides ;
    Les uns sur des nefs homicides,
    Seront livrés aux flots mouvants ;
    Ceux-là proméneront des os sans sépulture,
    Et cacheront leurs morts sous une terre obscure,
    Pour les dérober aux vivants.


    Où le Courrier trouve-t-il là tout ce qu’il me fait dire ? il est évident qu’il a lu ces vers avec les lunettes qui font voir à M. Royer-Collard un empire dans le royaume de France, et à M. Pierrot un Démosthène, ou quelque chose d’approchant, dans M. Royer-Collard. Ensuite il s’indigne de ce que les Vendéens ont combattu et, même vaincu des Français. Et il oublie, ce pauvre esprit spécial, que tel est le malheur inséparable des guerres civiles, où les défenseurs des mauvaises causes méritent seuls l’indignation. Or quelle était la mauvaise cause, je le demande à ce journal que je ne puis croire celui des ministres du Roi ?

    Pour ce qui regarde la récompense nationale, on ne promet aux Vendéens
    que le ciel,
    Le Seigneur vous promet le ciel.

    Récompense bien peu nationale, en effet. La prétendue insurrection est encore
    plus plaisante : le Courrier ne s’est pas aperçu que les Vendéens ne marchaient
    là qu’avec l’armée ; je suis étonné qu’il ne me dénonce pas comme le Tyrtée
    de la conspiration royaliste. Voici d’ailleurs (qu’on me pardonne encore cette
    citation) les vers qui effraient tant le génie spéculatif :

    Déplorable Vendée, a-t-on séché tes larmes ?
    Marches-tu, ceinte de tes armes,
    Au premier rang de nos guerriers ?
    Si l’honneur, si la foi n’est pas un vain fantôme,
    Montre-moi quels palais ont remplacé le chaume
    De ces rustiques Chevaliers.


    Il est en effet scandaleux qu’on demande au ministère des palais pour les frères d’armes de Bonchamp et de Cathelineau, M. Azaïs n’a eu qu’une maison !

    Ces palais ont aussi beaucoup offusqué la Renommée (3 octobre). La Renommée aime l’économie. Un de ses rédacteurs, amendeur et sous-amendeur infatigable, l’a prouvé à tort et à travers, et tout le monde se souvient du fameux quart de quoi. Pour y atteindre, la Renommée voudrait que ma lyre reproduisît les prodiges d’Amphion ; l’on pense, d’un autre côté, que si la trompette de la Renommée ne pourrait construire des palais, elle pourrait bien, comme celle des Hébreux devant Jéricho, démolir, non des murailles, mais les châteaux, voire même les chaumières ; pourvu que ce soient celles des Vendéens.