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Regarde ce torrent, qui, grossi dès sa source[1],
Mugit sur les monts orageux.
Et vers l’heureux vallon qui menace sa course
Roule en grondant ses flots fangeux.
Vain fracas ! ses eaux vagabondes
S’ouvrent sur les glaciers mille chemins divers ;
De rochers en rochers il disperse ses ondes.
Et laissent sur leurs flancs les tributs des hivers.
Ses cent bras affaiblis s’égarent vers les plaines ;
Bientôt ce fier torrent, qui renversait les chênes,
Brise à peine en passant de faibles arbrisseaux.
Et ses vagues amoncelées.
Dont la fougue lointaine effrayait les vallées.
S’y traînent en faibles ruisseaux.
Mais qu’au sommet des monts sa fureur turbulente
Ait miné d’un vieux roc la base chancelante ;
Des neiges, des glaçons pressant l’énorme amas,
Le rocher déraciné roule.
Et dans sa vaste chute entraînant les frimas.
Grossit quand le torrent s’écoule.
Le mont dont il descend s’ébranle et retentit,
Masse immense ! il bondit de montagne en montagne,
Et tombe enfin dans la campagne
Sur le torrent qu’il engloutit.

«Edouard, ce torrent, c’est ta nombreuse armée :
Ses cris dévastateurs nous annoncent des fers ;
Mais les gouffres des monts, la faim et les hivers
Défendront l’Ecosse opprimée.
Et, si le sort guidait ton bras ensanglanté,
Dans l’ivresse de ta conquête.
Des peuples abattus redoute la fierté ;
Crains de leur rappeler, en leur foulant la tête,
Qu’il était une liberté !
Alors du sein de la poussière
S’élèverait notre étendard souillé ;
Un homme emboucherait le clairon de la guerre
Et ceindrait son glaive rouillé.
Aux éclats de sa voix bruyante
S’éveillent les chefs endormis ;

  1. Les cinquante et un vers suivants, publiés dans le Conservateur littéraire, ont été supprimés
    dans l’édition originale (1822). [Note de l’éditeur.]