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CÉSAR PASSE LE RUBICON[1]

Jarn gelidas cursu Ccesar superaverat Alpes, etc.
Lucain, Phars., liv. 1.


Déjà, des monts Alpins, qu’il avait su franchir,
César voyait au loin les vieux sommets blanchir ;
Des bords du Rubicon menaçant l’Italie,
De la guerre à venir son âme était remplie.
Une nuit, à ses yeux apparaît, toute en pleurs,
La tremblante Patrie, exhalant ses douleurs ;
Ses cheveux sont épars ; triste, le regard sombre,
D’une pâle lueur elle brille dans l’ombre,
Et les bras nus, levant son front chargé de tours :
« Arrêtez ! contre qui tournez-vous mes secours ?
Où courez-vous ? restez sur ces bords déplorables.
Jusqu’ici citoyens ! un pas vous rend coupables[2] ! »
 
Elle s’enfuit : César a frissonné d’horreur ;
Sur la rive longtemps l’enchaîne sa terreur.
« O toi, dit-il enfin, qui vois Rome et la terre
De ce roc Tarpéien où gronde ton tonnerre ;
Vous, dieux puissants d’Iüle ; et toi, grand Quirinus ;
Jupiter, dont l’œil veille aux murs de Latinus ;
Feux sacrés de Vesta ; toi, devant qui tout tremble,
Toi, qui peux plus sur moi que tous les dieux ensemble,
Rome, écoute ma voix : César victorieux
Ne veut point t’accabler sous ton bras furieux.
O Rome ! heureux vainqueur de la terre et de l’onde,
Ton esclave ne veut que t’asservir le monde.
Parle, et César encor peut être ton soutien ;
C’est ton ennemi seul qui me rendra le tien. »
Il dit, et sans tarder, fendant les flots rapides,
Il plante à l’autre bord ses aigles intrépides.
Ainsi, quand un lion, dans ses déserts brûlants,
Voit de loin l’ennemi s’avancer à pas lents ;

  1. Publié dans le Conservateur littéraire et dans Victor Hugo raconté.
  2. Voici le larin qui est sublime :

    [illisible]

    (Note du manuscrit.)