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LA LÉGENDE DE LA NONNE.

Enfants, voici des bœufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers !

La pluie alors, à larges gouttes,
Bat les vitraux frêles et froids ;
Le vent siffle aux brèches des voûtes ;
Une plainte sort des beffrois ;
On entend des soupirs qui glacent,
Des rires d’esprits familiers. —
Enfants, voici des bœufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers !

Une voix faible, une voix haute,
Disent : « Quand finiront les jours ?
Ah ! nous souffrons par notre faute ;
Mais l’éternité, c’est toujours !
Là, les mains des heures se lassent
À retourner les sabliers… » —
Enfants, voici des bœufs qui passent.
Cachez vos rouges tabliers !

L’enfer, hélas ! ne peut s’éteindre.
Toutes les nuits, dans ce manoir,
Se cherchent sans jamais s’atteindre
Une ombre blanche, un spectre noir,
Jusqu’à l’heure pâle où s’effacent
Les cierges sur les chandeliers. —
Enfants, voici des bœufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers !

Si, tremblant à ces bruits étranges,
Quelque nocturne voyageur
En se signant demande aux anges
Sur qui sévit le Dieu vengeur,
Des serpents de feu qui s’enlacent
Tracent deux noms sur les piliers. —