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AUX RUINES DE MONTFORT-L’AMAURY.

Lui qui donne du moins une larme au vieux fort,
Et, si l’air froid des nuits sous vos arceaux murmure,
Croit qu’une ombre a froissé la gigantesque armure
D’Amaury, comte de Monfort.

II



Là, souvent je m’assieds, aux jours passés fidèle,
Sur un débris qui fut un mur de citadelle.
Je médite longtemps, en mon cœur replié ;
Et la ville, à mes pieds, d’arbres enveloppée,
Étend ses bras en croix et s’allonge en épée,
Comme le fer d’un preux dans la plaine oublié.

Mes yeux errent, du pied de l’antique demeure,
Sur les bois éclairés ou sombres, suivant l’heure,
Sur l’église gothique, hélas ! prête à crouler,
Et je vois, dans le champ où la mort nous appelle,
Sous l’arcade de pierre et devant la chapelle,
Le sol immobile onduler.

Foulant, créneaux, ogive, écussons, astragales,
M’attachant comme un lierre aux pierres inégales,
Au faîte des grands murs je m’élève parfois.
Là je mêle des chants au sifflement des brises ;
Et, dans les cieux profonds suivant ses ailes grises,
Jusqu’à l’aigle effrayé j’aime à lancer ma voix !

Là quelquefois j’entends le luth doux et sévère
D’un ami qui sait rendre aux vieux temps un trouvère.
Nous parlons des héros, du ciel, des chevaliers,
De ces âmes en deuil dans le monde orphelines ;
Et le vent qui se brise à l’angle des ruines
Gémit dans les hauts peupliers !


Octobre 1825.