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Virgile, Le Tasse, Milton et Corneille, ces hommes, dont chacun représente une poésie et une nation, n’ont de commun entre eux que le génie. Chacun d’eux a exprimé et a fécondé la pensée publique dans son pays et dans son temps. Chacun d’eux a créé pour sa sphère sociale un monde d’idées et de sentiments approprié au mouvement et à l’étendue de cette sphère. Pourquoi donc envelopper d’une désignation vague et collective ces créations, qui, pour être toutes animées de la même âme, la vérité, n’en sont pas moins dissemblables et souvent contraires dans leurs formes, dans leurs éléments et dans leurs natures ? Pourquoi, en même temps, cette contradiction bizarre de décerner à une autre littérature, expression imparfaite encore d’une époque encore incomplète, l’honneur ou l’outrage d’une qualification également vague, mais exclusive, qui la sépare des littératures qui l’ont précédée ? Comme si elle ne pouvait être pesée que dans l’autre plateau de la balance ! comme si elle ne devait être inscrite que sur le revers du livre des fastes littéraires ! D’où lui vient ce nom de romantique ? Est-ce que vous lui avez découvert quelque rapport bien évident et bien intime avec la langue romance ou romane ? Alors expliquez-vous ; examinons la valeur de cette allégation ; prouvez d’abord qu’elle est fondée ; il vous restera ensuite à démontrer qu’elle n’est pas insignifiante.

Mais on se garde fort aujourd’hui d’entamer de ce côté une discussion qui pourrait n’enfanter que le ridiculus mus ; on veut laisser à ce mot de romantique un certain vague fantastique et indéfinissable qui en redouble l’horreur. Aussi tous les anathèmes lancés contre d’illustres écrivains et poëtes contemporains peuvent-ils se réduire à cette argumentation : « — Nous condamnons la littérature du dix-neuvième siècle, parce qu’elle est romantique… — Et pourquoi est-elle romantique ? — Parce qu’elle est la littérature du dix-neuvième siècle. » — On ose