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ODES ET BALLADES.

Il aura des chars dans les airs ;
Il domptera la flamme, il marchera sur l’onde ;
On verra l’arène inféconde
Sous ses pieds de fleurs s’émailler,
Et les astres sur lui descendre en auréole ;
Et les morts tressaillir au bruit de sa parole,
Comme s’ils allaient s’éveiller !

Fleuve aux flots débordés, volcan aux noires laves,
Il n’aura point d’amis pour avoir plus d’esclaves ;
Il pèsera sur tous de toute sa hauteur ;
Le monde, où passera le funeste fantôme,
Paraîtra sa conquête et non pas son royaume ;
Il ne sera qu’un maître où Dieu fut un pasteur.

Il semblera, courbé sur la terre asservie,
Porter un autre poids, vivre d’une autre vie.
Il ne pourra vieillir, il ne pourra changer.
Les fleurs que nous cueillons, pour lui seront flétries ;
Sans tendresse et sans foi, dans toutes nos patries
Il sera comme un étranger.

Son attente jamais ne sera l’espérance ;
Battu de ses désirs comme d’un flot des mers,
Sa science en secret envîra l’ignorance,
Et n’aura que des fruits amers.
Il bravera l’arrêt suspendu sur sa tête,
Calme, comme avant la tempête,
Et muet, comme après la mort ;
Et son cœur ne sera qu’une arène insensible
Où, dans le noir combat d’un hymen impossible,
Le crime étreindra le remord !

Du temps prêt à finir il saisira le reste.
Son bras du dernier port éteindra le fanal.
Dieu, qui combla de maux son envoyé céleste,
Accablera de biens le messie infernal.