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MOÏSE SUR LE NIL.

Ne craignez rien, filles timides !
C’est sans doute, par l’onde entraîné vers les mers,
Le tronc d’un vieux palmier qui, du fond des déserts,
Vient visiter les Pyramides.

« Que dis-je ? Si j’en crois mes regards indécis,
C’est la barque d’Hermès ou la conque d’Isis,
Que pousse une brise légère.
Mais non ; c’est un esquif où, dans un doux repos,
J’aperçois un enfant qui dort au sein des flots,
Comme on dort au sein de sa mère.

« Il sommeille ; et, de loin, à voir son lit flottant,
On croirait voir voguer sur le fleuve inconstant
Le nid d’une blanche colombe.
Dans sa couche enfantine il erre au gré du vent ;
L’eau le balance, il dort, et le gouffre mouvant
Semble le bercer dans sa tombe.

« Il s’éveille : accourez, ô vierges de Memphis !
Il crie… Ah ! quelle mère a pu livrer son fils
Au caprice des flots mobiles ?
Il tend les bras ; les eaux grondent de toute part.
Hélas ! contre la mort il n’a d’autre rempart
Qu’un berceau de roseaux fragiles.

« Sauvons-le… — C’est peut-être un enfant d’Israël.
Mon père les proscrit ; mon père est bien cruel
De proscrire ainsi l’innocence !
Faible enfant ! ses malheurs ont ému mon amour,
Je veux être sa mère : il me devra le jour,
S’il ne me doit pas la naissance. »

Ainsi parlait Iphis, l’espoir d’un roi puissant,
Alors qu’aux bords du Nil son cortège innocent
Suivait sa course vagabonde ;
Et ces jeunes beautés qu’elle effaçait encor,