Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
ODES ET BALLADES.


V

imprécation.



« Honte ! opprobre ! malheur ! anathème ! vengeance !
Que la terre et les cieux frappent d’intelligence !
Enfin nous avons vu le colosse crouler !
Que puissent retomber sur ses jours, sur sa cendre,
Tous les pleurs qu’il a fait répandre,
Tout le sang qu’il a fait couler !

« Qu’à son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine,
Des murs de l’Alhambra, des fossés de Vincenne,
De Jaffa, du Kremlin qu’il brûla sans remords,
Des plaines du carnage et des champs de victoire,
Tonne, comme un écho de sa fatale gloire,
La malédiction des morts !

« Qu’il voie autour de lui se presser ses victimes !
Que tout ce peuple, en foule échappé des abîmes,
Innombrable, annonçant les secrets du cercueil,
Mutilé par le fer, sillonné par la foudre,
Heurtant confusément des os noircis de poudre,
Lui fasse un Josaphat de Sainte-Hélène en deuil !

« Qu’il vive pour mourir tous les jours, à toute heure !
Que le fier conquérant baisse les yeux, et pleure !
Sachant sa gloire à peine et riant de ses droits,
Des geôliers ont chargé d’une chaîne glacée
Cette main qui s’était lassée
À courber la tête des rois !

« Il crut que sa fortune, en victoires féconde,
Vaincrait le souvenir du peuple roi du monde ;
Mais Dieu vient, et d’un souffle éteint son noir flambeau,
Et ne laisse au rival de l’éternelle Rome