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ODES ET BALLADES.


Ce siècle entre les temps veut être solitaire.
Allons ! frappez ces murs, des ans encor vainqueurs.
Non, qu’il ne reste rien des vieux jours sur la terre ;
Il n’en reste rien dans nos cœurs.
Cet héritage immense, où nos gloires s’entassent,
Pour les nouveaux peuples qui passent,
Est trop pesant à soutenir ;
Il retarde leurs pas, qu’un même élan ordonne.
Que nous fait le passé ? Du temps que Dieu nous donne
Nous ne gardons que l’avenir.

Qu’on ne nous vante plus nos crédules ancêtres !
Ils voyaient leurs devoirs où nous voyons nos droits.
Nous avons nos vertus. Nous égorgeons les prêtres,
Et nous assassinons les rois. —
Hélas ! il est trop vrai, l’antique honneur de France,
La Foi, sœur de l’humble Espérance,
Ont fui notre âge infortuné ;
Des anciennes vertus le crime a pris la place ;
Il cache leurs sentiers, comme la ronce efface
Le seuil d’un temple abandonné.

Quand de ses souvenirs la France dépouillée,
Hélas ! aura perdu sa vieille majesté,
Lui disputant encor quelque pourpre souillée,
Ils riront de sa nudité !
Nous, ne profanons point cette mère sacrée ;
Consolons sa gloire éplorée,
Chantons ses astres éclipsés ;
Car notre jeune muse, affrontant l’anarchie,
Ne veut pas secouer sa bannière, blanchie
De la poudre des temps passés.


1823.