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par l’autorité compétente. Le déluge a eu la fantaisie d’être désagréable à M. Cuvier, conseiller d’état. Je plains les affirmateurs contre l’inconnu. Il leur arrive de ces aventures.

C’est la science académique et officielle qui, pour avoir plus tôt fait, pour rejeter en bloc toute la partie de la nature qui ne tombe pas sous nos sens et qui par conséquent déconcerte l’observation, a inventé le mot surnaturalisme. Ce mot, nous l’adoptons, il est utile pour distinguer, nous nous en sommes déjà servi et nous nous en servirons encore, mais, à proprement parler et dans la rigueur du langage, disons-le une fois pour toutes, ce mot est vide. Il n’y a pas de surnaturalisme. Il n’y a que la nature. La nature existe seule et contient tout. Tout Est. Il y a la partie de la nature que nous percevons, et il y a la partie de la nature que nous ne percevons pas. Pan a un côté visible et un côté invisible. Parce que sur ce côté invisible, vous jetterez dédaigneusement ce mot surnaturalisme, cet invisible existera-t-il moins ? X reste X. L’Inconnu est à l’épreuve de votre vocabulaire. Nier n’est pas détruire. Le surnaturalisme est immanent. Ce que nous apercevons de la nature est infinitésimal. Le prodigieux être multiple se dérobe presque tout de suite au court regard terrestre ; mais pourquoi ne pas le poursuivre un peu ? Toutes ces choses, spiritisme, somnambulisme, catalepsie, biologie, convulsionnaires, médiums, seconde vue, tables tournantes ou parlantes, invisibles frappeurs, enterrés de l’Inde, mangeurs de feu, charmeurs de serpents, etc., si faciles à railler, veulent être examinées au point de vue de la réalité. Il y a là peut-être une certaine quantité de phénomène entrevu. Si vous abandonnez ces faits, prenez garde, les charlatans s’y logeront, et les imbéciles aussi. Pas de milieu : la science, ou l’ignorance. Si la science ne veut pas de ces faits, l’ignorance les prendra. Vous avez refusé d’agrandir l’esprit humain, vous augmentez la bêtise humaine. Où Laplace se récuse, Cagliostro paraît. De quel droit, d’ailleurs, dites-vous à un fait : Va-t’en. De quel droit chassez-vous un phénomène ? De quel droit dites-vous à l’inattendu : je ne t’examinerai pas ? De quel droit raturez-vous une des données du problème ? De quel droit mettez-vous la nature à la porte ? Hue usque recurret[1]. La science peut commettre des iniquités. Fermer les yeux, c’est une mauvaise action. Le télescope a une fonction ; le microscope a des devoirs. La cornue doit être impartiale, l’alambic doit être intègre, le creuset chauffe pour tout le monde. Il faut que le chiffre soit honnête homme. Un déni d’expérimentation est un déni de justice. Et savez-vous ce qui arrive ? L’absurde se greffe sur le vrai ; c’est votre faute ; vous avez manqué à vos deux lois, bienveillance et surveillance ; vous créez l’empirisme. Ce qui eût été astronomie sera astrologie ; ce qui eût été chimie sera

  1. Horace, Epîtres, I, IX