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note les digestions pendant que Despréaux note les victoires. Tels sont les deux visages du Janus royal, également sacrés. Il y a une heure pour cette fonction vénérée. Louis le Grand, assis sur ce socle, donne audience aux femmes ; la duchesse de Bourgogne choisit de préférence cette minute-là ; c’est l’instant où le soleil est de bonne humeur. Alberoni pousse dans ce cabinet des cris d’admiration qui le font cardinal ; pourtant ce n’est qu’à l’occasion du duc de Vendôme ; si c’eût été pour le roi, Alberoni était pape.

Voyez avec quel respect Saint-Simon parle des deux chaises percées de leurs majestés catholiques « toujours à côté l’une de l’autre », majestés et chaises percées ensemble.

Et partout où il y a trône, même vénération pour cet appendice.

L’intestin du droit divin était redoutable, grand et illustre. L’estomac était digne de l’intestin. Rabelais savait ce qu’il faisait en charbonnant sur le mur du droit divin Gargantua. Le roi mangeait habituellement seul. En 1744, prenons cette année au hasard, voici ce qu’on servait tous les jours à cette table pour un : neuf chapons et un chaponneau, vingt-neuf pigeons et dix-huit pigeonneaux, un faisan, deux dindons, quatre bécasses, six butodeaux, six sarcelles, six poulardes, trente-cinq perdrix et quarante et un poulets, plus douze ris de veau, un demi-cent d’œufs, une oille (plia), un jambon de dix livres, une livre de moelle, vingt-quatre livres de bœuf, vingt-huit livres de mouton, cinquante-deux livres de lard, et soixante-seize livres de veau, sans compter un boisseau de truffes, deux livres et demie de crettes, et quatorze tourtes dont six à la braise, sans compter le poisson, sans compter les vins, sans compter le dessert, sans compter les hors-d’œuvre, saucisses, boudins blancs, casseroles, potages sans eau, salpicon, miroton « et autres choses, dit le registre manuscrit de Versailles, que l’on sert ordinairement sur la table du roi ». Le matin le roi commençait son déjeuner par boire un bouillon ; pour ce simple bouillon on employait un chapon vieux, quatre livres de veau, quatre livres de bœuf et quatre livres de mouton.

Quand le roi mangeait avec la reine, il y avait à la table, dit le même registre, « deux assiettes ». Cela faisait, pour cent quatre-vingt-onze livres de viande, cinquante-deux pièces de gibier, et quatre-vingt-seize volailles, deux bouches. C’était le temps du pacte de Famine. Autour de cette table, la France avait faim, vingt-cinq millions d’êtres humains agonisaient, on pendait les affamés pillards de blé, les paysans mâchaient de l’herbe, l’homme ne mangeait plus, il broutait.

On avait vu sous la régence, rien que dans une seule paroisse, Saint-Sulpice, quinze cents personnes mourir de faim.

Telle était l’institution. Le roi de France, insistons-y, était purement et simplement Dieu. Dieu à la lettre.

Une pénalité proportionnée veillait sur