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Cette compréhension, saturée de sentiment, s’applique au mystère de l’art comme aux autres phénomènes. L’infini irradie le beau comme le vrai. De l’infini source il coule du surhumain. De là la quantité d’inexplicable qui est dans le sublime. D’où cela vient-il ? Quel est ce jaillissement ? Qu’est-ce que c’est que cet éclair ? Autant lueur de Dieu que clarté de l’homme ! Où ce génie a-t-il trouvé cela ? Questions faites à l’inconnu. L’œil du prophète brille comme l’œil du tigre ; mais dans le tigre il y a l’enfer, dans le poëte il y a le ciel. Ici prunelle féline, là prunelle stellaire. C’est la différence du monstre au prodige, et de Busiris à Homère.

Une fois cette vaste fenêtre de l’absolu ouverte sur l’intelligence humaine, l’aurore abonde, les révélations resplendissent de toute part. Tout reste mystère et devient clarté. De sorte que la destinée peut être employée à la civilisation, et Dieu mis au service de l’homme. L’énigme dit son mot, qui est le Verbe. La route dit son mot, qui est le Progrès. Un fil de feu, mystérieux guide, serpente dans tous les labyrinthes. Philosophie, histoire, langue, Humanité, passé, avenir, ces dédales s’éclairent. L’utopie apparaît praticable. Les merveilleux linéaments de l’harmonie universelle s’ébauchent dans un-demi-jour de sanctuaire. Toutes les ressemblances de l’unité éclatent dans les innombrables formes de la nature et de la destinée. Poésie devient identique à vertu. La synonymie du vrai et du grand se manifeste. Le beau, comme le bien, fait partie de l’immense vision de l’idéal. L’idéal rayonne au-dessus de l’homme à ces hauteurs inouïes où le regard des contemplateurs entrevoit béants, incandescents, presque terribles, tous les porches de la lumière.

Il y a deux sortes de beau : le beau qui naît du sentiment du fini, et le beau qui naît du sentiment de l’infini.

Le sentiment du fini, le sentiment de l’infini, ce sont là les deux principales notions de l’homme, et celles d’où découlent toutes les autres.

De là, dans l’art, deux idéals différents : l’idéal grec et l’idéal chrétien. Ou, pour employer des expressions qui circonscrivent moins l’esprit, l’idéal antique et l’idéal moderne.

Dans le vieux monde qui, nous l’avons dit ailleurs, était le monde enfant, le sentiment du fini dominait. Tout avait une limite, une frontière, un contour, un alpha et un oméga. Rien ne se perdait dans l’ombre, rien ne s’en allait au delà, rien ne s’enfonçait. Tout était éclairé jusqu’au bout. Ceci commençait ici et finissait là. La voix des forêts était une voix humaine. La mer était une figure qui portait une fourche. Le soleil avait quatre chevaux dont on savait les noms. Le vent habitait une caverne d’où il soufflait à pleines joues. Chez les grecs, tout était homme, même les dieux.

Le sentiment de l’infini plane sur le monde moderne. Tout y participe