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sonde de plus en plus l’œuvre étudiée ; il se déclare que c’est une victoire pour une intelligence de comprendre cela, et que tous peut-être n’en sont pas capables ni dignes ; il y a de l’exception dans l’admiration, une espèce de fierté améliorante le gagne ; il se sent élu, il lui semble que ce poëme l’a choisi. Il est possédé du chef-d’œuvre. Par degrés, lentement, à mesure qu’il contemple ou à mesure qu’il lit, d’échelon en échelon, montant toujours, il assiste, stupéfait, à sa croissance intérieure ; il voit, il comprend, il accepte, il songe, il pense, il s’attendrit, il veut ; les sept marches de l’initiation ; les sept noces de la lyre auguste qui est nous-mêmes. Il ferme les yeux pour mieux voir, il médite ce qu’il a contemplé, il s’absorbe dans l’intuition, et tout à coup, net, clair, incontestable, triomphant, sans trouble, sans brume, sans nuage, au fond de son cerveau, chambre noire, l’éblouissant spectre solaire de l’idéal apparaît ; et voilà cet homme qui a un autre cœur.

Quelque chose en lui se redresse et quelque chose se penche ; la contemplation est devenue éblouissement, la méditation est devenue pitié. Il semble que cet esprit ait renouvelé sa provision d’infini. Il se sent meilleur. Il déborde de miséricorde et de mansuétude. S’il était juge, il absoudrait : s’il était soldat, U dirait à l’ennemi • mon frère ; s’il était prêtre, il éteindrait l’enfer. Le chef-d’œuvre, inconscient, a donné à cet homme toutes sortes de conseils sérieux et doux. Une mystérieuse impulsion dans le sens du bien lui est venue de ce bloc de pierre, de cette mélodie qui ressemble à une vocalise de fauvette, de cette strophe où il n’y a que des fleurs et de la rosée. La bonté a jailli de la beauté. Il y a de ces étranges effets de source qui tiennent à la communication des profondeurs entre elles.

Lady Montagu, après avoir vu au Trippenhaus d’Amsterdam l’Amalthee de Jordaëns, s’écriait : Je voudrais avoir un pauvre pour lui vider ma bourse dans les mains !

Être grand et inutile, cela ne se peut. L’art, dans les questions de progrès et de civilisation, voudrait garder la neutralité qu’il ne pourrait. L’humanité ne peut être en travail sans être aidée par sa force principale, la pensée. L’art contient l’idée de liberté, arts libéraux ; les lettres contiennent l’idée d’humanité, humaniores litterœ. L’amélioration humaine et terrestre est une résultante de l’art, inconscient parfois, plus souvent conscient. Les mœurs s’adoucissent, les cœurs se rapprochent, les bras embrassent, les énergies s’entresecourent, la compassion germe, la sympathie éclate, la fraternité se révèle, parce qu’on lit, parce qu’on pense, parce qu’on admire. Le beau entre dans nos yeux rayon et sort larme. Aimer est au sommet de tout.

L’art émeut. De là sa puissance civilisatrice. Les émus sont les bons ; les émus sont les grands. Tout martyr a été ému ; c’est par l’émotion qu’il est devenu impassible. Les grandes fermetés viennent des pleurs. Le héros