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d’une église, au clair de lune de la midsummer, vous verrez les esprits de ceux qui doivent mourir dans l’année traverser le cimetière. Les disputes nocturnes des démons lunaires troublent les rêves des hommes endormis.

Tenez-vous à avoir de longues oreilles ? frottez-vous le crâne au lever de la lune avec de la semence d’ânon, cum semine aselli, et vous obtiendrez le succès voulu, vous aurez une tête d’âne.

La lune, pour Chaucer, c’est « Cinthya aux pieds noirs et aux cornes blanches ». Tout le monde sait qu’on voit dans la lune un homme suivi d’un chien et portant un fagot. Qui ne voit pas cet homme sera changé en loup-garou. Pourquoi ? C’est que cet homme est Caïn. Dante ne dit pas : la lune décline ; il dit : (Enfer, chant XX) : Déjà Caïn avec son fardeau d’épines touche la mer sous Séville.


Ce sont là les songes. Promontorium somnii.

Songes debout. Car, insistons-y, dormir n’est pas une formalité nécessaire. Les bestions qu’on voit pendant le sommeil, pour employer l’expression d’un vieux livre, l’homme les voit volontiers hors du sommeil. Le satyre est naturel au bois payen et le farfadet au marais chrétien. Berbiguier de Terreneuve du Thym passait son temps à prendre des démons entre deux brosses qu’il appliquait l’une contre l’autre brusquement.

Pas un échalier fermant un champ qui, à minuit, ne soit enfourché par un esprit. Le sabbat danse en rond sous les étoiles dans les vergers, et le matin les vachères se montrent des cheveux de corrigans accrochés aux branches basses de pommiers. Le vent du crépuscule ploie et courbe dans les nénuphars les femmes déhanchées et ondoyantes des étangs. Il y a des prés fées broutés des chèvres le jour et des capricornes la nuit. Les landes et les bruyères ne sont pas bien sûres de n’avoir pas vu souvent, au bruit lointain d’une cloche de matines, se lever et marcher, pour aller boire aux sources voisines, ces dolmens, ces menhirs, ces cromlechs, blocs monstrueux où s’adosse dès l’aube le pâtre pensif qui regarde en l’air, comme si ses idées cherchaient des vêtements dans les casaques décousues des nuages.


Hélas, le moyen-âge est lugubre. Ce pauvre paysan féodal, ne lui marchandez pas son rêve. C’est à peu près tout ce qu’il possède. Son champ n’est pas à lui, son toit n’est pas à lui, sa vache n’est pas à lui, sa famille n’est pas à lui, son souffle n’est pas à lui, son âme n’est pas à lui. Le seigneur a la carcasse, le prêtre a l’âme. Le serf végète entre eux deux, une moitié dans un enfer, une moitié dans l’autre. Il a sous ses pieds nus la fatalité qui pour lui s’appelle la glèbe. Il est forcé de marcher dessus, et elle s’attache à ses talons, tantôt boue, tantôt cendre. Il est terre à demi. Il rampe, traîne, pousse, porte, geint, obéit, pleure. Il est vêtu d’une loque ; il a une corde autour des reins qui, à la moindre infraction, lui monte au cou ; son maître ne le rencontre qu’à coups de bâton ; ses enfants sont des petits, sa femme, hideuse d’infortune, est à peine une femelle ; il vit dans le dénûment, dans le silence, dans la stagnation, dans la fièvre, dans la fétidité, dans l’abjection, dans le fumier ; il est, dans son bouge, compagnon d’intelligence des poules, et d’ordure, du porc ; il est mouillé de pluie l’hiver et de sueur l’été ; il fait du pain blanc et mange du pain noir ;