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l’official de Troyes rend cet arrêt : « Parties ouïes, faisant droit sur la requeste des habitants de Villenoxe, admonestons les chenilles de se retirer dans six jours, et, à défaut de ce faire, les déclarons maudites et excommuniées. » Le parlement de Paris, faisant pendre une truie sorcière, rêve et extravague. La Sorbonne, faisant défense et inhibition de guérir les maladies au quinquina, « écorce scélérate », est complètement folle. Les multitudes, ainsi que nous venons de l’indiquer, ne sont point exemptes de ces contagions. Les peuples, même libres, ont leurs tics comme les despotes ont leurs lubies. Le peuple anglais, en masse, copiant le nœud de cravate de Brummel, n’est-il pas en état de rêve tout autant que Charles-Quint montant des pendules ou Domitien décapitant des mouches ?

Est-il un rêve plus absurde que celui d’Origène ? Celui-là, certes, ne semble pas contagieux. Il l’est. La religion des eunuques volontaires existe. Allez en Russie, vous l’y trouverez. Les origénistes s’appellent skopzi ; ils sont trente mille ; et en attendant le jour où le feu czar Pierre III, leur messie, viendra mettre en branle la grosse cloche du Kremlin à Moscou, ils se mutilent stoïquement, somnambules au point de n’être plus des hommes.

Une science tout entière peut tomber en somnambulisme. La médecine est particulièrement sujette à cet accident. Le moyen-âge a été pour elle une longue éclipse, et l’on pourrait presque dire que jusqu’au dix-huitième siècle la médecine a rêvé. Le bol d’Arménie, la thériaque, l’électuaire de Sennert contre les maladies du cœur, forgé de trente-deux substances, parmi lesquelles l’or, le corail, l’ambre, le saphir, l’émeraude et la perle, la fameuse poudre panacée faite avec des nombrils de singes du golfe persique, tous ces remèdes semblent des cauchemars. De réalité, point. On damne, de par la Bible, Harvey, le circulator du sang, comme Galilée, le circulator des planètes. L’hygiène était formidable. En une seule année, Bouvart, médecin de Louis XIII, faisait traverser le roi par deux cent quinze médecines et deux cent douze clystères. Les facultés guerroyaient ; le diagnostic combattait la drogue ; saint-Côme attaquait saint-Luc ; les médecins se déclaraient homériques et les apothicaires bibliques ; les premiers se disaient descendants de Machaon et de Poladire, et les seconds entendaient remonter jusqu’au prophète qui inventa pour Ézéchias le cataplasme de figues sèches ; Fleurant prenait pour ancêtre Isaïe. Le tournoi médical pour et contre l’antimoine rendait fous furieux Renaudot, Guénaut, et Guy-Patin, et Courtaud, champion de Montpellier, et Guillemeau, champion de Paris. Cependant mourait qui voulait. Les malades avaient la fièvre et les médecins le délire.

Quelquefois une époque est maniaque. La renaissance a donné à l’Europe pendant trois siècles la folie payenne. Théagène et Chariclée et les pastorales de Longus arborent une sorte de civilisation mythologique, galante et bergère. La Fontaine écrit :

 
Depuis que la cour d’Amathonte
S’est enfuie à Bois-le-Vicomte...


Apollon gardeur de moutons était le type auquel le cardinal de Richelieu s’efforçait de ressembler. En France, il y avait une sorte d’Olympe gaulois. Les dieux