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trouble pour l’art et en lui laissant tout entière sa condition suprême, le Beau, tellement que dans Virgile, dans Horace, dans la Bible, dans les bas-reliefs romains et grecs, dans les camées antiques, dans le musée secret de Naples, plusieurs des œuvres les plus impures aux yeux de la morale et de la pudeur sont les plus pures aux yeux du goût ?

Expliquons ce phénomène.

Affirmons cette vérité superbe, entrevue seulement sur les sommets de l’art : il n’y a point de mal dans le beau. Être le beau et faire le mal, c’est impossible. Le mal, dès qu’il est entré dans le beau, fait le bien. L’art est un dissolvant transfigurateur extrayant de toute chose l’idéal. Le fumier l’aide à créer sa rose. L’impureté s’innocente dans son marbre blanc. Sous l’art complet il y a le silence du mal. La nudité d’une femme devenue la nudité d’une statue fait taire la chair et chanter l’âme. Sitôt que le regard devient contemplateur, l’assainissement commence. Qui admire monte. De là la souveraine puissance civilisatrice de tous les chefs-d’œuvre sans .exception. Ce qui fait partie du beau fait partie du bon.

Mais dans ce beau, que vous appelez maintenant le bon, il est entré du mal. Il y a dans tel de ces chefs-d’œuvre qui tous civilisent, dites-vous, cette impudence, ce cynisme, cette turpitude que vous-même avez signalés. Oui, de même qu’il y a du fumier dans la rose.

Cherchez ce fumier et ce mal dans la merveille épanouie.

Donc, faire partie du Beau, ceci est toute punition.


Tout ce que nous venons d’écrire ci-dessus, est-ce donc la négation du goût ?

C’en est l’affirmation.

De toutes les règles écrites, mises en tas et rejetées, sort la notion du goût de même que du monceau des lois passées au crible et abolies, sort la notion du droit.

Au-dessus de toutes les poétiques d’école comme de toutes les constitutions d’état il y a l’antérieur et le supérieur. Le goût est essentiel au génie comme le droit au peuple. Si l’on réfléchit que droit implique devoir, on saisira le rapport entre ces deux idées, droit et goût. Droit et goût font partie de la souveraineté.

Loin de la limiter, ils la constatent.

Les règles et les lois sont des procédés inférieurs ; savoir distinguer la quantité de droit que contiennent les lois et la quantité de goût que contiennent les règles, cela n’est point donné à tous les esprits. Souvent la loi impose le faux droit et la règle impose le faux goût. Le devoir du penseur est de protester contre ces promulgations.

Un jour, le progrès aidant, le peuple se passera de lois ; quant au génie, il s’est toujours passé de règles.

De ce rejet des lois et des règles, que résulte-t-il ? des Iliades.

Prenez des siècles, si vous voulez, pour faire à votre hypothèse un milieu suffisant de progrès accompli, et supposez ceci dans l’ordre politique : une seule injonction sociale est maintenant, l’enseignement gratuit et obligatoire, c’est-à-dire le droit de l’enfance à la lumière ; du reste plus de lois, plus de décrets ni d’arrêts, plus de textes faisant dogmes ; de cet évanouissement des codes écrits, que se dégage-t-il ? l’anarchie. Non, le droit absolu.