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difformité, qui les redressera, qui leur criera : marchez droit ! Mœurs, vous êtes des mères, et vos enfants sont les peuples ! Qui fera cette sublime orthopédie ? Un esprit. Comptez les travailleurs, les avertisseurs, les guérisseurs, depuis Platon jusqu’à Diderot. Lutte robuste et sainte ! au nom du progrès contre les mœurs, au nom du droit contre les lois.

Spiritus flat. Tel esprit est palpitation, tel autre est ouragan ; c’est toujours de l’haleine. Seulement dans le premier cas l’haleine échauffe et caresse ; dans le second, elle bouleverse, casse, brise, entraîne, arrache, déracine, renouvelle par extermination. Ces violences salubres se nomment en météorologie orages et en politique révolutions.

Il y a des inondations fécondantes ; le Nil en est une. Luther en est une autre.

Les orages font de l’équilibre.

Pour le savant vrai, pour l’observateur qui approfondit l’observation, il est certain qu’il y a pour la nature des heures de souffrance latente, par suite d’on ne sait quel alanguissement du climat ou de la saison, la mystérieuse distribution de vie universelle s’est faite inégalement, l’harmonie s’est peu à peu rompue presque léthargiquement, il y a trop ici et pas assez là, les énergies accablées agonisent en silence, la stagnation s’étale là-dessus, commencement tranquille de chaos. Une tempête est un rappel à l’ordre.

La pensée orage rend de ces services. Isaïe, Juvénal, Dante, sont de grands vents.

Il y a des enchaînements en concordance entre ces mystérieuses forces conductrices. Un esprit prend l’humanité là où un autre l’a laissée et la mène plus loin.

Les esprits sont l’un pour l’autre un accomplissement. Ils s’entr’achèvent.

Le progrès, étant loi, arrive toujours. Seulement, sans les génies, il suit la progression arithmétique ; avec les génies, il suit la progression géométrique. Le génie a ce don de toujours multiplier toute la somme humaine par elle-même. Les génies, nous l’avons fait remarquer, résument le genre humain à un instant donné, et l’ayant tout entier en eux, ils l’emploient, comme force, à son propre progrès. Prenez chacun des esprits que nous avons indiqués au livre II, et examinez-le en lui-même. Qu’est-ce que cet esprit ? un total de l’humanité.

Ôtez de la question le progrès, ôtez la civilisation, ôtez les évolutions et les révolutions, c’est-à-dire les deux modes de transfiguration humaine, l’un normal, l’autre convulsif, l’un qui est la paix du bien, l’autre qui est la guerre du mieux, ôtez l’amélioration des hommes, ôtez le perfectionnement social, ôtez la formation de l’âme du peuple, ôtez de la question cela, à quoi bon les génies ?

À quoi bon ces poumons surhumains, ces voix de vérité et de justice, ces hautes clameurs de la pensée par-dessus les opprimés et les oppresseurs, ces bouches sonnant les grandes choses ?

Pour quel résultat et pour quel emploi ces missionnaires, ces laboureurs d’hommes, ces apôtres, ces vastes maîtres d’école, ces éducateurs, ces instituteurs, ces initiateurs, ces chercheurs du bien, ces trouveurs du feu sacré, ces bons titans, ces prométhées ?