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Avril 1819.

Il pourrait, à mon sens, jaillir des réflexions utiles de la comparaison entre les romans de Le Sage et ceux de Walter Scott, tous deux supérieurs dans leur genre. Le Sage, ce me semble, est plus spirituel ; Walter Scott est plus original ; l’un excelle à raconter les aventures d’un homme, l’autre mêle à l’histoire d’un individu la peinture de tout un peuple, de tout un siècle ; le premier se rit de toute vérité de lieux, de mœurs, d’histoire ; le second, scrupuleusement fidèle à cette vérité même, lui doit l’éclat magique de ses tableaux. Dans tous les deux, les caractères sont tracés avec art ; mais dans Walter Scott ils paraissent mieux soutenus, parce qu’ils sont plus saillants, d’une nature plus fraîche et moins polie. Le Sage sacrifie souvent la conscience de ses héros au comique d’une intrigue ; Walter Scott donne à ses héros des âmes plus sévères ; leurs principes, leurs préjugés même ont quelque chose de noble en ce qu’ils ne savent point plier devant les événements. On s’étonne, après avoir lu un roman de Le Sage, de la prodigieuse variété du plans ; on s’étonne encore plus, en achevant un roman de Scott, de la simplicité du canevas ; c’est que le premier met son imagination dans les faits, et le second dans les détails. L’un peint la vie, l’autre peint le cœur. Enfin, la lecture des ouvrages de Le Sage donne, en quelque sorte, l’expérience du sort ; la lecture de ceux de Walter Scott donne l’expérience des hommes.


« C’était un homme merveilleux et aussi grotesque qu’il y en ait jamais eu dans le peuple latin. Il mettait ses collections dans ses chaussons, et quand, dans l’ardeur de la dispute, nous lui contestions quelque chose, il appelait son valet : — Hem, hem, hem, Dave, apporte-moi le chausson de la tempérance, le chausson de la justice, ou le chausson de Platon, ou celui d’Aristote, — selon les matières qui étaient mises sur le tapis. Cent choses de cette sorte me faisaient rire de tout mon cœur, et j’en ris encore à présent comme si j’étais à même. » Les savants chaussons de Giraldo Giraldi méritaient, certes, d’être aussi célèbres que la perruque de Kant, laquelle s’est vendue 30 000 florins à la mort du philosophe, et n’a plus été payée que 1 200 écus à la dernière foire de Leipzick ; ce qui prouverait, à mon sens, que l’enthousiasme pour Kant et son idéologie diminue en Allemagne. Cette perruque, dans les variations de son prix, pourrait être considérée comme le thermomètre des progrès du système de Kant.