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son armée fanatique par des miracles qui semblent encore incroyables. Il faisait sortir, toutes les nuits, du fond d’un puits, un globe lumineux qui, suivant Khondemir, jetait sa clarté à plusieurs milles à la ronde ; ce qui le fit surnommer Sazendèh Mah, le faiseur de lunes. Enfin, réduit au désespoir, il empoisonna le reste de ses séides dans un banquet, et, afin qu’on le crût remonté au ciel, il s’engloutit lui-même dans une cuve remplie de matières corrosives. Ben Schahnah assure que ses cheveux surnagèrent et ne furent pas consumés. Il ajoute qu’une de ses concubines, qui s’était cachée pour se dérober au poison, survécut à cette destruction générale, et ouvrit les portes de Nekhscheb à Abusâid. Le Prophète-Masqué, que d’ignorants chroniqueurs ont confondu avec le Vieux de la Montagne, avait choisi pour ses drapeaux la couleur blanche, en haine des abassides dont l’étendard était noir. Sa secte subsista longtemps après lui, et, par un capricieux hasard, il y eut parmi les turcomans une distinction de Blancs et de Noirs à la même époque où les Bianchi et les Neri divisaient l’Italie en deux grandes factions.




Voltaire, comme historien, est souvent admirable ; il laisse crier les faits. L’histoire n’est pour lui qu’une longue galerie de médailles à double empreinte. Il la réduit presque toujours à cette phrase de son Essai sur les mœurs : « Il y eut des choses horribles, il y en eut de ridicules. » En effet, toute l’histoire des hommes tient là. Puis il ajoute : « L’échanson Montecuculli fut écartelé ; voilà l’horrible. Charles-Quint fut déclaré rebelle par le parlement de Paris ; voilà le ridicule. » Cependant, s’il eût écrit soixante ans plus tard, ces deux expressions ne lui auraient plus suffi. Lorsqu’il aurait eu dit : « Le roi de France et trois cent mille citoyens furent égorgés, fusillés, noyés... La Convention nationale décréta Pitt et Cobourg ennemis du genre humain. » Quels mots aurait-il mis au-dessous de pareilles choses ?

Un spectacle curieux, ce serait celui-ci : Voltaire jugeant Marat, la cause jugeant l’effet.

Il y aurait pourtant quelque injustice à ne trouver dans les annales du monde qu’horreur et rire. Démocrite et Héraclite étaient deux fous, et leurs deux folies réunies dans le même homme n’en feraient point un sage. Voltaire mérite donc un reproche grave ; ce beau génie écrivit l’histoire des hommes pour lancer un long sarcasme contre l’humanité. Peut-être n’eût-il point eu ce tort s’il se fût borné à la France. Le sentiment national eût émoussé la pointe amère de son esprit. Pourquoi ne pas se faire cette illusion ? Il est à remarquer que Hume, Tite-Live, et en général les narrateurs nationaux, sont les plus bénins des historiens. Cette bienveillance, quoique par-