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Lévesque a déjà raconté, il est vrai, en deux volumes ajoutés à son long ouvrage, l’histoire de ces peuplades tributaires ; mais cette matière attend encore un véritable historien. Il faudrait aussi traiter avec plus de développement que Lévesque, et surtout avec plus de sincérité, certaines époques d’un grand intérêt, comme le règne fameux de Catherine. L’historien digne de ce nom flétrirait avec le fer chaud de Tacite et la verge de Juvénal cette courtisane couronnée, à laquelle les altiers sophistes du dernier siècle avaient voué un culte qu’ils refusaient à leur Dieu et à leur roi ; cette reine régicide, qui avait choisi pour ses tableaux de boudoir un massacre[1] et un incendie[2].

Sans nul doute, une bonne Histoire de Russie éveillerait vivement l’attention. Les destins futurs de la Russie sont aujourd’hui le champ ouvert à toutes les méditations. Ces terres du septentrion ont déjà plusieurs fois jeté le torrent de leurs peuples à travers l’Europe. Les Français de ce temps ont vu, entre autres merveilles, paître dans les gazons des Tuileries des chevaux qui avaient coutume de brouter l’herbe au pied de la Grande Muraille de la Chine ; y et des vicissitudes inouïes dans le cours des choses ont réduit de nos jours les nations méridionales à adresser à un autre Alexandre le vœu de Diogène : Retire-toi de notre soleil.




Il y aurait un livre curieux à faire sur la condition des juifs au moyen âge. Ils étaient bien haïs, mais ils étaient bien odieux ; ils étaient bien méprisés, mais ils étaient bien vils. Le peuple déicide était aussi un peuple voleur. Malgré les avis du rabbin Beccaï[3], ils ne se faisaient aucun scrupule de piller les nazaréens, ainsi qu’ils nommaient les chrétiens ; aussi étaient-ils souvent les victimes de leur propre cupidité. Dans la première expédition de Pierre l’Hermite, des croisés, emportés par le zèle, firent le vœu d’égorger tous les juifs qui se trouveraient sur leur route, et ils le remplirent. Cette exécution était une représaille sanglante des bibliques massacres commis par les juifs. Suarez observe seulement que les hébreux avaient souvent

  1. Le massacre des Polonais dans le faubourg de Praga.
  2. L’incendie de la flotte ottomane dans la baie de Tchesmé.
    Ces deux peintures étaient les seules qui décorassent le boudoir de Catherine.
  3. Ce sage docteur voulait empêcher les juifs d’être subjugués par les chrétiens. Voici ses paroles, qu’on ne sera peut-être pas fâché de retrouver : « Les sages défendent de prêter de l’argent à un chrétien, de peur que le créancier ne soit corrompu par le débiteur ; mais un juif peut emprunter d’un chrétien sans crainte d’être séduit par lui, car le débiteur évite toujours son créancier. » Juif complet, qui met l’expérience de l’usurier au service de la doctrine du rabbin. (Notes de l’édition originale.)