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écrivait Chamfort, a prouvé plus que jamais la prééminence déjà démontrée depuis longtemps de M. Barnave sur M. de Mirabeau comme orateur.-Mirabeau est mort, murmurait M. Target en serrant la main de Barnave, son discours sur la formule de promulgation l’a tué.-Barnave, vous avez enterré Mirabeau, ajoutait Duport, appuyé du sourire de Lameth, lequel était à Duport comme Duport à Barnave, un diminutif.-M. Barnave fait plaisir, disait M. Goupil, et M. Mirabeau fait peine.-Le comte de Mirabeau a des éclairs, disait M. Camus, mais il ne fera jamais un discours, il ne saura même jamais ce que c’est. Parlez-moi de Barnave ! —M. de Mirabeau a beau se fatiguer et suer, disait Robespierre, il n’atteindra jamais Barnave, qui n’a pas l’air de prétendre tant que lui, et qui vaut plus[1]. Toutes ces pauvres petites injustices égratignaient Mirabeau et le faisaient souffrir au milieu de sa puissance et de ses triomphes. Coups d’épingle au porte-massue.

Et si la haine, dans son besoin de lui opposer quelqu’un, n’importe qui, n’avait pas eu un homme de talent sous la main, elle aurait pris un homme médiocre. Elle ne s’embarrasse jamais de la qualité de l’étoffe dont elle fait son drapeau. Mairet a été préféré à Corneille, Pradon à Racine. Voltaire s’écriait, il n’y a pas cent ans :

On m’ose préférer Crébillon le barbare !

En 1808, Geoffroy, le critique le plus écouté qui fût en Europe, mettait « M. Lafon fort au-dessus de M. Talma ». Merveilleux instinct des coteries ! En 1798, on préférait Moreau à Bonaparte ; en 1815, Wellington à Napoléon.

Nous le répétons, parce que, selon nous, la chose est singulière, Mirabeau daignait s’irriter de ces misères. Le parallèle avec Barnave l’offusquait. S’il avait regardé dans l’avenir, il aurait souri ; mais c’est en général le défaut des orateurs politiques, hommes du présent avant tout, d’avoir l’œil trop fixé sur les contemporains et pas assez sur la postérité.

Ces deux hommes, Barnave et Mirabeau, présentaient d’ailleurs un contraste parfait. Dans l’assemblée, quand l’un ou l’autre se levait, Barnave était toujours accueilli par un sourire, et Mirabeau par une tempête. Barnave avait en propre l’ovation du moment, le triomphe du quart d’heure, la gloire dans la gazette, l’applaudissement de tous, même du côté droit. Mirabeau avait la lutte et l’orage. Barnave était un assez beau jeune homme, et un très beau parleur. Mirabeau, comme disait spirituellement Rivarol, était un monstrueux bavard. Barnave était de ces hommes qui prennent chaque

  1. Faute de français. Il faudrait, qui vaut davantage. (Note de l’étude sur Mirbeau.)