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1834


SUR MIRABEAU


I

En 1781, un sérieux débat s’agitait en France, au sein d’une famille, entre un père et un oncle. Il s’agissait d’un mauvais sujet dont cette famille ne savait plus que faire. Cet homme, déjà hors de la première phase ardente de la jeunesse, et pourtant plongé encore tout entier dans les frénésies de l’âge passionné, obéré de dettes, perdu de folies, s’était séparé de sa femme, avait enlevé celle d’un autre, avait été condamné à mort et décapité en effigie pour ce fait, s’était enfui de France, puis il venait d’y reparaître, corrigé et repentant, disait-il, et, sa contumace purgée, il demandait à rentrer dans sa famille et à reprendre sa femme. Le père souhaitait cet arrangement, voulant avoir des petits-fils et perpétuer son nom, espérant, d’ailleurs, être plus heureux comme aïeul que comme père. Mais l’enfant prodigue avait trente-trois ans. Il était à refaire en entier. Éducation difficile ! Une fois replacé dans la société, à quelles mains le confier ? qui se chargerait de redresser l’épine dorsale d’un pareil caractère ? De là, controverse entre les vieux parents. Le père voulait le donner à l’oncle, l’oncle voulait le laisser au père.

— Prends-le, disait le père.

— Je n’en veux pas, disait l’oncle.

« — Pose d’abord en fait, répliquait le père, que cet homme-là n’est rien, mais rien du tout. Il a du goût, du charlatanisme, l’air de l’acquis, de l’action, de la turbulence, de l’audace, du boute-en-train, de la dignité quelquefois. Ni dur ni odieux dans le commandement. Eh bien, tout cela n’est que pour le faire voir livré à l’oubli de la veille, au désouci du lendemain, à l’impulsion du moment, enfant perroquet, homme avorté, qui ne connaît ni le pos-