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une existence. Il semble que son cœur s’entr’ouvre à chaque pensée qui en jaillit comme un volcan qui vomit des éclairs. Les douleurs, les joies, les passions n’ont point pour lui de mystères, et s’il ne fait voir les objets réels qu’à travers un voile, il montre à nu les régions idéales. On peut lui reprocher de négliger absolument l’ordonnance de ses poëmes ; défaut grave, car un poëme qui manque d’ordonnance est un édifice sans charpente ou un tableau sans perspective. Il pousse également trop loin le lyrique dédain des transitions ; et l’on désirerait parfois que ce peintre si fidèle des émotions intérieures jetât sur les descriptions physiques des clartés moins fantastiques et des teintes moins vaporeuses. Son génie ressemble trop souvent à un promeneur sans but qui rêve en marchant, et qui, absorbé dans une intuition profonde, ne rapporte qu’une image confuse des lieux qu’il a parcourus. Quoi qu’il en soit, même dans ses moins belles œuvres, cette capricieuse imagination s’élève à des hauteurs où l’on ne parvient pas sans des ailes. L’aigle a beau fixer ses yeux sur la terre, il n’en conserve pas moins le regard sublime dont la portée s’étend jusqu’au soleil[1]. On a prétendu que l’auteur de Don Juan appartenait, par un côté de son esprit, à l’école de l’auteur de Candide. Erreur ! il y a une différence profonde entre le rire de Byron et le rire de Voltaire. Voltaire n’avait pas souffert.

Ce serait ici le moment de dire quelque chose de la vie si tourmentée du noble poëte ; mais, dans l’incertitude où nous sommes sur les causes réelles des malheurs domestiques qui avaient aigri son caractère, nous aimons mieux nous taire, de peur que notre plume ne s’égare malgré nous.

  1. Dans un moment où l’Europe entière rend un éclatant hommage au génie de lord Byron, avoué grand homme depuis qu’il est mort, le lecteur sera curieux de relire ici quelques phrases de l’article remarquable dont la Revue d’Édimbourg, journal accrédité, salua l’illustre poëte à son début. C’est d’ailleurs sur ce ton que certains journaux nous entretiennent chaque matin ou chaque soir des premiers talents de notre époque.

    « La poésie de notre jeune lord est de cette classe que ni les dieux ni les hommes ne tolèrent. Ses inspirations sont si plates qu’on pourrait les comparer à une eau stagnante. Comme pour s’excuser, le noble auteur ne cesse de rappeler qu’il est mineur… Peut-être veut-il nous dire : « Voyez comme un mineur écrit. » Mais hélas ! nous nous rappelons tous la poésie de Cowley à dix ans, et celle de Pope à douze. Loin d’apprendre avec surprise que de mauvais vers ont été écrits par un écolier au sortir du collège, nous croyons la chose très commune, et, sur dix écoliers, neuf peuvent en faire autant et mieux que lord Byron.

    « Dans le fait, cette seule considération (celle du rang de l’auteur) nous fait donner une place à lord Byron dans notre journal, outre notre désir de lui conseiller d’abandonner la poésie pour mieux employer ses talents.

    « Dans cette intention, nous lui dirons que la rime et le nombre des pieds, quand ce nombre serait toujours régulier, ne constituent pas toute la poésie, nous voudrions lui persuader qu’un peu d’esprit et d’imagination sont indispensables, et que pour être lu un poëme a besoin aujourd’hui de quelque pensée ou nouvelle ou exprimée de façon à paraître telle.

    « Lord Byron devrait aussi prendre garde de tenter ce que de grands poëtes ont