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Deux écoles se sont formées dans son sein, qui représentent la double situation où nos malheurs politiques ont respectivement laissé les esprits, la résignation et le désespoir. Toutes deux reconnaissent ce qu’une philosophie moqueuse avait nié, l’éternité de Dieu, l’âme immortelle, les vérités primordiales et les vérités révélées ; mais celle-ci pour adorer, celle-là pour maudire. L’une voit tout du haut du ciel, l’autre du fond de l’enfer. La première place au berceau de l’homme un ange qu’il retrouve encore assis au chevet de son lit de mort ; l’autre environne ses pas de démons, de fantômes et d’apparitions sinistres. La première lui dit de se confier, parce qu’il n’est jamais seul ; la seconde l’effraye en l’isolant sans cesse. Toutes deux possèdent également l’art d’esquisser des scènes gracieuses et de crayonner des figures terribles ; mais la première, attentive à ne jamais briser le cœur, donne encore aux plus sombres tableaux je ne sais quel reflet divin ; la seconde, toujours soigneuse d’attrister, répand sur les images les plus riantes comme une lueur infernale. L’une, enfin, ressemble à Emmanuel, doux et fort, parcourant son royaume sur un char de foudre et de lumière ; l’autre est ce superbe Satan[1] qui entraîna tant d’étoiles dans sa chute lorsqu’il fut précipité du ciel. Ces deux écoles jumelles, fondées sur la même base, et nées, pour ainsi dire, au même berceau, nous paraissent spécialement représentées dans la littérature européenne par deux illustres génies, Chateaubriand et Byron.

Au sortir de nos prodigieuses révolutions, deux ordres politiques luttaient sur le même sol. Une vieille société achevait de s’écrouler ; une société nouvelle commençait à s’élever. Ici des ruines, là des ébauches. Lord Byron, dans ses lamentations funèbres, a exprimé les dernières convulsions de la société expirante. M. de Chateaubriand, avec ses inspirations sublimes, a satisfait aux premiers besoins de la société ranimée. La voix de l’un est comme l’adieu du cygne à l’heure de la mort ; la voix de l’autre est pareille au chant du phénix renaissant de sa cendre.

Par la tristesse de son génie, par l’orgueil de son caractère, par les tempêtes de sa vie, lord Byron est le type du genre de poésie dont il a été le poëte. Tous ses ouvrages sont profondément marqués du sceau de son individualité. C’est toujours une figure sombre et hautaine que le lecteur voit passer dans chaque poëme comme à travers un crêpe de deuil. Sujet quelquefois, comme tous les penseurs profonds, au vague et à l’obscurité, il a des paroles qui sondent toute une âme, des soupirs qui racontent toute

  1. Ce n’est ici qu’un simple rapport qui ne saurait justifier le titre d’école satanique sous lequel un homme de talent a désigné l’école de lord Byron. ('Note de l’édition originale.)