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l’a entendu crier aux officiers commandant l’attaque : Vous êtes des traîtres ! On le croit fusillé. – La troupe s’est retirée, chose étrange, sans démolir la barricade. – On construit une barricade rue du Renard. – Quelques gardes nationaux en uniforme la regardent construire, mais n’y travaillent pas. Un d’eux me dit : Nous ne sommes pas contre vous, vous êtes avec le droit. – Ils ajoutent qu’il y a douze ou quinze barricades rue Rambuteau. – Ce matin au point du jour on a tiré le canon, ferme, me dit l’un d’eux, rue Bourbon-Villeneuve. – Je vais visiter une fabrique de poudre improvisée par Leguevel chez un pharmacien vis-à-vis la rue Guérin-Boisseau.

» On construit les barricades à l’amiable, sans fâcher personne. On fait ce qu’on peut pour ne pas froisser le voisinage. Les combattants de la barricade Bourg-l’Abbé sont les pieds dans la boue à cause de la pluie. C’est un cloaque. Ils hésitent à demander une botte de paille. Ils se couchent dans l’eau ou sur les pavés.

» J’ai vu là un jeune homme malade sorti de son lit avec la fièvre. Il m’a dit : – Je m’y ferai tuer. (Il l’a fait.)

» Rue Bourbon-Villeneuve on n’a pas même demandé « aux bourgeois » un matelas, quoique, la barricade étant canonnée, on en eût besoin pour amortir les boulets.

» Les soldats font mal les barricades, parce qu’ils les font bien. Une barricade doit être branlante ; bien bâtie, elle ne vaut rien ; il faut que les pavés manquent d’aplomb, « afin qu’ils s’éboulent sur les troupiers, me dit un gamin, et qu’ils leur cassent les pattes ». L’entorse fait partie de la barricade.

» Jeanty Sarre est le chef de tout un groupe de barricades. Il me présente son second, Charpentier, homme de trente-six ans, lettré et savant. Charpentier s’occupe d’expériences ayant pour but de remplacer le charbon et le bois par le gaz dans la cuisson de la porcelaine, et il me demande la permission de me lire « un de ces jours » une tragédie. Je lui dis : Nous en faisons une. »Jeanty Sarre gronde Charpentier ; les munitions manquent. Jeanty Sarre ayant chez lui, rue Saint-Honoré, une livre de poudre de chasse et vingt cartouches de guerre, a envoyé Charpentier les chercher. Charpentier y est allé, a rapporté la poudre de chasse et les cartouches, mais les a distribuées aux combattants des barricades qu’il a rencontrées chemin faisant. – Ils étaient comme des affamés, dit-il. Charpentier n’a de sa vie touché une arme à feu. Jeanty Sarre lui montre à charger un fusil.

» On mange chez le marchand de vin du coin et l’on s’y chauffe. Il fait très froid. Le marchand de vin dit : – Ceux qui ont faim, allez manger. Un combattant lui a demandé : – Qui est-ce qui paiera ? – La mort, a-t-il répondu.