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était rassurer les esprits pendant le combat et les rallier après ; c’était la vraie politique.

Depuis quelque temps, tout en écoutant Michel (de Bourges) et Jules Favre qui l’appuyait, nous croyions entendre dans la salle voisine un bourdonnement qui ressemblait à un bruit de voix. Jules Favre s’était écrié à plusieurs reprises : – Mais est-ce qu’il y aurait là quelqu’un ? – Pas possible, lui répondait-on, nous avons recommandé à Durand-Savoyat de ne laisser demeurer personne. – Et la délibération continuait. Cependant le bruit de voix grossissait insensiblement et finit par devenir si distinct qu’il fallut voir ce que c’était. Carnot entrouvrit la porte. Le salon et l’antichambre contigus au cabinet où nous nous tenions étaient remplis de représentants qui causaient paisiblement.

Surpris, nous appelâmes Durand-Savoyat.

— Vous n’avez donc pas compris ? lui dit Michel (de Bourges).

— Mais si, répondit Durand-Savoyat.

— Cette maison est peut-être signalée, reprit Carnot. Nous sommes en danger d’être pris.

— Et tués sur place, ajouta Jules Favre en souriant de son sourire calme.

— Eh bien, répondit Durand-Savoyat, avec son regard plus tranquille encore que le sourire de Jules Favre, précisément. La porte de ce cabinet est dans l’obscurité et peu apparente. J’ai gardé tous les représentants qui sont venus et je les ai mis dans le salon et dans l’antichambre, où il ont voulu. Cela fait une espèce de foule. Si la police et la troupe arrivent, je dirai : Nous voilà. On nous prendra. On ne verra pas la porte du cabinet, et l’on ne viendra pas jusqu’à vous. Nous paierons pour vous. Si l’on a quelqu’un à tuer, on se contentera de nous.

Et, sans se douter qu’il venait de dire des paroles de héros, Durand-Savoyat rentra dans l’antichambre.

Nous reprîmes la question du décret. Nous étions unanimes sur l’utilité de la convocation immédiate d’une nouvelle Assemblée. Mais à quelle date ? Louis Bonaparte avait désigné le 20 décembre pour son plébiscite ; nous choisîmes le 21. Maintenant quel nom donner à cette Assemblée ? Michel (de Bourges) insistait pour le nom de Convention nationale, Jules Favre pour le nom d’Assemblée constituante, Carnot proposa le nom d’Assemblée souveraine qui, ne réveillant aucun souvenir, laissait le champ libre à toutes les espérances. Le nom d’Assemblée souveraine fut adopté.

Le décret, dont Carnot voulut bien écrire les considérants sous ma dictée, fut rédigé en ces termes. Il est de ceux qui ont été imprimés et affichés.

DÉCRET