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notre portier. Il avait lui-même posé une sonnette sur notre table, et il nous avait dit : Quand vous aurez besoin de moi, sonnez, je viendrai. – Partout où nous allions, il était là. Il se tenait dans l’antichambre, calme, impassible, silencieux, avec sa grave et noble figure, et sa redingote boutonnée et son large chapeau qui lui donnait l’air d’un ministre anglican. Il ouvrait lui-même la porte d’entrée, reconnaissait les survenants, et écartait les importuns et les inutiles. Du reste toujours gai et disposé à dire sans cesse : Cela va bien. Nous étions perdus, il souriait. L’optimisme dans le désespoir.

Nous l’appelâmes. Landrin lui exposa ses inquiétudes. Nous priâmes Durand-Savoyat de ne laisser désormais séjourner personne dans l’appartement, pas même les représentants du peuple, de prendre note des nouvelles et des renseignements, de ne laisser parvenir jusqu’à nous que les hommes indispensables, en un mot de renvoyer le plus possible tout le monde afin que les allées et venues cessassent. Durand-Savoyat secoua la tête et rentra dans l’antichambre en disant : C’est bon. Il se bornait volontiers à ces deux formules : pour nous : Cela va bien ; pour lui-même : C’est bon. C’est bon, noble façon de parler du devoir.

Landrin et Durand-Savoyat sortis, Michel (de Bourges) prit la parole.

L’art de Louis Bonaparte, copiste de son oncle en cela comme en tout, ç’avait été, dit Michel (de Bourges), de jeter en avant un appel au peuple, un vote à faire, un plébiscite, en un mot de faire surgir en apparence un gouvernement au moment où il en renversait un. Dans les grandes crises où tout penche et paraît prêt à tomber, un peuple a besoin de se rattacher à quelque chose. A défaut d’un autre point d’appui, il prendra la souveraineté de Louis Bonaparte. Eh bien, il faut pour point d’appui offrir, nous, au peuple sa propre souveraineté. L’Assemblée, continua Michel (de Bourges), était morte de fait. La gauche, tronçon populaire de cette Assemblée haïe, pouvait suffire à la situation quelques jours. Rien de plus. Il fallait qu’elle se retrempât elle-même dans la souveraineté nationale. Il était donc important de faire appel, nous aussi, au suffrage universel, d’opposer vote à vote, de mettre debout devant le prince usurpateur le peuple souverain, et de convoquer immédiatement une nouvelle Assemblée. Michel (de Bourges) proposa un décret. Michel (de Bourges) avait raison. Derrière la victoire de Louis Bonaparte, on voyait quelque chose de détestable, mais de connu : l’empire ; derrière la victoire de la gauche, il y avait de l’ombre. Il importait de faire le jour derrière nous. Ce qui inquiète le plus les imaginations, c’est la dictature de l’inconnu. Convoquer le plus tôt possible une nouvelle Assemblée, remettre tout de suite la France dans les mains de la France, c’