Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/184

Cette page n’a pas encore été corrigée

l66 HISTOIRE D’UN CRIME.

l’assassinat, érigés en départements ministériels, l’escroquerie appliquée au suffrage universel, le gouvernement par le faux, le devoir appelé crime, le crime appelé devoir, le cynisme riant dans l’atroce, c’est de tout cela qu’ils composent leur nouveauté.

Maintenant, c’est bien, ils ont réussi, ils ont le vent en poupe, ils s’en donnent à cœur joie. On a triché la France, on partage. La France est un sac, et l’on y met la main. Fouillez, pardieu, prenez pendant que vous y êtes, péchez, puisez, pillez, volez ! L’un veut de l’argent, l’autre des places, l’autre un cordon au cou, l’autre une plume au chapeau, l’autre une broderie à la manche, l’autre des femmes, l’autre du pouvoir, l’autre des nouvelles pour la Bourse, l’autre un chemin de fer, l’autre du vin. Je crois bien qu’ils sont contents ! figurez-vous un pauvre diable qui, il y a trois ans, empruntait dix sous à son portier et qui aujourd’hui, accoudé voluptueusement sur le Moniteur, n’a qu’à signer un décret pour prendre un million. Se rendre eux-mêmes parfaitement heureux, dévorer à même les finances de l’État, vivre aux dépens du Trésor en fils de f ;imille, cela s’appelle leur politique. Leur ambition a un vrai nom : c’est de la gloutonnerie. Eux ambitieux, bah ! ils sont gloutons. Gouverner, c’est jouir. Cela n’empêche pas de trahir. Au contraire. On s’entr’espionne, on s’entre-trahit. Les petits traîtres trahissent les grands traîtres. Piétri louche vers Maupas et Maupas vers Carlier. Bouge hideux ! On y a fait le coup d’Etat en commun. Voilà tout. Du reste, on n’y est sûr de rien, ni des regards, ni des sourires, ni des arrière-pensées, ni des hommes, ni des femmes, ni du valet, ni du prince, ni des paroles d’honneur, ni des actes de naissance. Chacun se sent frauduleux et se sait suspect. Chacun a ses intentions secrètes. Chacun sait tout seul pourquoi il a fait cela. Pas un ne dit le mot de son crime et personne ne porte le nom de son père. — Ah ! que Dieu me prête vie et que Jésus me pardonne, je dresserai un gibet haut de cent coudées, je prendrai des clous et un marteau, et je crucifierai ce Beauharnais dit Bonaparte entre ce Leroy dit Saint-Arnaud et ce Fialin dit Persigny ! Et je vous y traînerai aussi, vous tous, complices ! Ce Morny, ce Romicu, ce Fould, sénateur juif, ce Delangle qui porte sur son dos cet écriteau : la justice ! et ce Troplong, légiste glorificateur de la violation des lois, jurisconsulte apologiste du coup d’Etat, magistrat flatteur du parjure, juge panégyriste du meurtre, qui s’en ira à la postérité une éponge pleine de sang et de boue à la main !

J’engage donc le combat. Avec qui. ? Avec le dominateur actuel de l’Europe. Il est bon que ce spectacle soit donné au monde. Louis Bonaparte, c’est le succès, c’est le triomphe enivré, c’est le despotisme gai et féroce s’épanouissant dans la victoire, c’est la plénitude folle du pouvoir se cher-