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CONDUITE DE LA GAUCHE. IV ;

droit, de l’autre, pas un de ces cent vingt représentants, pas un ne manqua à l’appel du devoir, pas un ne refusa le danger, pas un ne recula, pas un ne faiblit, toutes ces têtes se placèrent résolument sous le couperet, et, quatre jours durant, attendirent qu’il tombât.

Aujourd’hui, captivité, déportation, expatriation, exil, le couperet est tombé à peu près sur toutes ces têtes.

Je suis de ceux qui n’ont eu d’autre mérite dans cette lutte que de rallier à une pensée unique le courage de tousj mais qu’il me soit permis de rendre ici justice avec effusion à ces hommes parmi lesquels je m’honore d’avoir servi trois ans la sainte cause du progrès humain, à cette gauche insultée, calomniée, méconnue et intrépide, qui fut toujours sur la brèche, qui ne se reposa p.is un jour, qui ne recula pas plus devant la conspiration militaire que devant la conspiration parlementaire, et qui, investie par le peuple du mandat de le défendre, le défendit même quand il s’abandonna, le défendit à la tribune avec la parole et dans la rue avec l’épée. Quand le comité de résistance, dans la séance où fut rédigé et vote le décret de déchéance et de mise hors la loi, usant du pouvoir discrétionnaire que la gauche lui avait confié, décida que toutes les signatures des représentants républicains restés libres seraient apposées au bas du décret, ce fut un acte hardi ; le comité ne se dissimula point que c’était là une liste de proscription qu’il offrait au coup d’État vainqueur toute dressée, et peut-être, dans son for intérieur, craignit-il que quelques-uns ne la desavouassent et ne réclamassent. Le lendemain nous reçûmes deux lettres en effet, deux plaintes. C’étaient deux représentants qui avaient été omis sur la liste et qui réclamaient l’honneur d’y être rétablis. Ces deux représentants, je les rétablis ici, en effet, dans leur droit d’être proscrits. Voici leurs noms : Anglade et Pradié.

Du mardi 2 au vendredi 5 décembre, les représentants de la gauche et le comité, épiés, harcelés, traqués, toujours au moment d’être découverts et pris, c’est-à-dire massacrés, se transportèrent, pour y délibérer, dans vingt-sept maisons différentes, déplacèrent vingt-sept fois le lieu de leurs séances, depuis leur première réunion rue Blanche jusqu’à leur dernière conférence chez Raymond. Ils refusèrent les asiles qu’on leur offrait sur la rive gauche, voulant toujours rester au centre du combat. Dans ces déplacements, ils traversèrent plus d’une fois le Paris de la rive droite d’un bout à l’autre, la plupart du temps à pied et faisant des détours pour n’être pas suivis. Tout était péril pour eux, leur nombre, leurs figures connues, leurs précautions même. Les rues populeuses, danger : la police y était en permanence ; les rues désertes, danger : les allées et venues y étaient plus remarquées.