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XVI. Coup d’œil en arrière

Louis Bonaparte avait essayé la majorité comme on essaie un pont ; il l’avait chargée d’iniquités, d’empiétements, d’énormités ; assommades de la place du Havre, cris de vive l’empereur ! distribution d’argent aux troupes, vente dans les rues des journaux bonapartistes, prohibition des journaux républicains et parlementaires, revues de Satory, discours de Dijon ; la majorité porta tout.

— Bon, dit-il, le coup d’État passera dessus.

Qu’on se rappelle les faits. Avant le 2 décembre le coup d’État se faisait en détail, çà et là, un peu partout, assez effrontément, et la majorité souriait. Le représentant Pascal Duprat était violenté par les agents de police. – C’est très drôle, disait la droite. – Le représentant Dain était empoigné. – Charmant ! – Le représentant Sartin était arrêté. – Bravo ! – Un beau matin, quand toutes les charnières furent bien essayées et graissées, quand tous les fils furent bien attachés, le coup d’État s’exécuta en bloc, brusquement, la majorité cessa de rire, mais le tour était fait. Elle ne s’apercevait pas que, depuis longtemps, pendant qu’elle riait de l’étranglement d’autrui, elle avait la corde au cou.

Insistons sur ceci, non pour punir le passé, mais pour éclairer l’avenir. Bien des mois avant d’être exécuté, le coup d’État était fait. Le jour venu, l’heure sonnée, la mécanique toute montée n’eut qu’à marcher. Rien ne devait manquer et rien ne manqua. Ce qui aurait été un abîme si la majorité eût fait son devoir et compris sa solidarité avec la gauche, n’était pas même une enjambée. L’inviolabilité avait été démolie par les inviolables. La main des gendarmes était accoutumée au collet des représentants comme au collet des voleurs ; la cravate des hommes d’État ne fit pas un pli dans la poigne des argousins, et l’on put admirer M. le vicomte de Falloux, ô candeur ! s’ébahissant d’être traité comme le citoyen Sartin.

La majorité arriva à reculons, en applaudissant toujours Bonaparte, au trou où Bonaparte la fit tomber.