Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/145

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il s’écria :

— Ainsi vous aurez fait rentrer en France les Bonaparte [1], et vous serez banni de France par un Bonaparte !

— Qui sait, lui dis-je, si je n’ai pas fait une faute ? Cette injustice est peut-être une justice.

Nous nous tûmes tous deux. Il reprit :

— Pourrez-vous supporter l’exil ?

— Je tâcherai.

— Pourrez-vous vivre sans Paris ?

— J’aurai l’océan.

— Vous iriez donc au bord de la mer ?

— Je l’imagine.

— C’est triste.

— C’est grand.

Il y eut encore un silence. Il le rompit.

— Tenez, vous ne savez pas ce que c’est que l’exil. Je le sais, moi. C’est affreux. Certes, je ne recommencerais point. La mort est une chose d’où l’on ne revient pas, l’exil est une chose où l’on ne retourne pas.

— S’il le faut, lui dis-je, j’irai, et j’y retournerai.

— Plutôt mourir. Quitter la vie, ce n’est rien, mais quitter la patrie…

— Hélas ! dis-je, c’est tout.

— Eh bien, alors, pourquoi accepter l’exil, pouvant l’éviter ? Que mettez-vous donc au-dessus de la patrie ?

— La conscience.

Cette réponse le laissa rêveur. Pourtant il reprit :

— Mais, en y réfléchissant, votre conscience vous approuvera.

— Non.

— Pourquoi ?

— Je vous l’ai dit. Parce que ma conscience est ainsi faite qu’elle ne met rien au-dessus d’elle. Je la sens sur moi comme le promontoire pourrait sentir le phare qui est sur lui. Toute la vie est un abîme, et la conscience l’éclaire autour de moi.

— Et moi aussi, s’écria-t-il, – et je déclare que rien n’était plus sincère et plus loyal que son accent, – et moi aussi, je sens et je vois ma conscience. Elle m’approuve. J’ai l’air de trahir Louis, eh bien non, je le sers. Le sauver d’un crime, c’est le sauver. J’ai essayé de tous les moyens. Il ne reste que celui-ci, l’arrêter. En venant à vous, en agissant comme je le fais,

  1. 14 juin 1847. Chambre des Pairs. Voir le livre Avant l’exil.