Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Croyez-vous ?

— Sans doute. Nous sommes la minorité et nous ferions acte de majorité. Nous sommes une portion de l’Assemblée, nous agirions comme si nous étions l’Assemblée entière. Nous qui condamnons toute usurpation, nous usurperions. Nous porterions la main sur un fonctionnaire que l’Assemblée seule a le droit de faire arrêter. Nous, les défenseurs de la Constitution, nous briserions la Constitution. Nous, les hommes de la loi, nous violerions la loi. C’est un coup d’État.

— Oui, mais un coup d’État pour le bien.

— Le mal fait pour le bien reste le mal.

— Même quand il réussit ?

— Surtout quand il réussit.

— Pourquoi ?

— Parce qu’alors il devient exemple.

— Vous n’approuvez donc pas le 18 fructidor ?

— Non.

— Mais les 18 fructidor empêchent les 18 brumaire.

— Non. Ils les préparent.

— Mais la raison d’État existe.

— Non. Ce qui existe, c’est la loi.

— Le 18 fructidor a été accepté par de très intègres esprits.

— Je le sais.

— Blanqui est pour, avec Michelet.

— Moi je suis contre, avec Barbès.

Du côté moral, je passai au côté pratique.

— Cela dit, repris-je, examinons votre plan.

Ce plan était hérissé de difficultés. Je les lui fis toucher du doigt.

Compter sur la garde nationale ! Mais le général La Woëstine n’en avait pas encore le commandement. Compter sur l’armée ? Mais le général Neumayer était à Lyon, et non à Paris. Il marcherait au secours de l’Assemblée ? Qu’en savait-on ? Quant à La Woëstine, n’avait-il pas deux visages ? Etait-on sûr de lui ? Appeler aux armes la 8e légion ? Mais Forestier n’en était plus colonel. La 5e et la 6e ? Mais Gressier et Hovyn n’étaient que lieutenants-colonels, ces légions les suivraient-elles ? Requérir le commissaire Yon ? Mais obéirait-il à la gauche seule ? Il était l’agent de l’Assemblée, et par conséquent de la majorité, mais non de la minorité. Autant de questions. Mais ces questions, les supposât-on résolues, et résolues dans le sens du succès, est-ce que le succès lui-même était la question ? La question n’est jamais le succès, c’est toujours le droit. Or, ici, même ayant le succès, nous n’aurions pas le droit. Pour arrêter le président, il fallait un