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de la Concorde. Ils traversèrent le pont de la Concorde et prirent encore à droite. Ils passèrent ainsi devant l’esplanade des Invalides et atteignirent le quai désert du Gros-Caillou.

Ils étaient, nous venons de le dire, trois cent trente-sept, et, comme ils allaient deux par deux, il y en avait un, le dernier, qui marchait seul. C’était un des plus hardis combattants de la rue Pagevin, ami de Lecomte minor. Le hasard fit que le sergent qui était placé en serre-file à côté de lui était « son pays ». En passant devant un réverbère ils se reconnurent. Ils échangèrent rapidement quelques paroles à voix basse.

— Où allons-nous ? dit le prisonnier.

— A l’École militaire, répondit le sergent. Et il ajouta : – Ah ! mon pauvre garçon !

Puis il se tint à distance du prisonnier.

Comme la colonne finissait là, il y avait un certain intervalle entre le dernier rang des soldats qui. faisaient la haie et le premier rang du peloton qui fermait le cortège.

Comme ils arrivaient à ce boulevard désert du Gros-Caillou dont nous venons de parler, le sergent se rapprocha vivement du prisonnier et lui dit vite et bas :

— On n’y voit pas clair. C’est un endroit noir. A gauche il y a des arbres. Gagne au large !

— Mais, dit le prisonnier, on va tirer sur moi.

— On te manquera.

— Mais si l’on me tue ?

— Ce ne sera pas pire que ce qui t’attend.

Le prisonnier comprit, serra la main du sergent, et, profitant de l’intervalle entre la haie et l’arrière-garde, d’un bond il se jeta hors de la colonne et se perdit dans l’obscurité sous les arbres.

— Un qui se sauve ! cria l’officier qui commandait le dernier peloton. Halte ! Feu !

La colonne s’arrêta. Le peloton d’arrière-garde fit feu au hasard dans la direction que le fuyard avait prise, et, comme le sergent l’avait prévu, le manqua. En quelques instants l’évadé avait atteint les rues qui avoisinent la manufacture des tabacs et s’y était enfoncé. On ne le poursuivit pas. On avait une besogne plus pressée.

Et d’ailleurs, la débandade eût pu se mettre dans les rangs, et pour en reprendre un on risquait de faire échapper les trois cent trente-six.

La colonne continua son chemin. Arrivés au pont d’Iéna, on tourna à gauche, et l’on entra dans le Champ de Mars.

Là on les fusilla tous.