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le point de résistance le plus rapproché d’eux c’était la double barricade Mauconseil, et que, quand tout serait fini là, ce serait leur tour.

Denis s’était posté sur le revers intérieur de la barricade, de façon à en dépasser la crête de la moitié du corps, et de là il observait. La lueur qui sortait de la porte du marchand de vin permettait de distinguer ses gestes.

Tout à coup il fit un signe. L’attaque commençait à la redoute Mauconseil.

Les soldats, en effet, après avoir hésité quelque temps devant cette double muraille de pavés, assez haute, bien bâtie, et qu’ils supposaient bien défendue, avaient fini par s’y lancer et l’abordaient à coups de fusil.

Ils ne se trompaient pas, elle fut bien défendue. Nous l’avons dit, il n’y avait dans cette barricade que six hommes, six ouvriers qui l’avaient construite. Des six, un seul avait trois cartouches, les autres n’avaient que deux coups à tirer. Ces six hommes entendirent venir le bataillon et rouler la batterie qui le suivait, et ne bougèrent pas. Chacun resta silencieux à son poste de combat, le canon du fusil entre deux pavés. Quand la troupe fut à distance, ils firent feu, le bataillon riposta.

— C’est bon, ragez, pioupious ! dit en riant celui qui avait trois coups à tirer.

En arrière d’eux, ceux du Petit-Carreau s’étaient groupés autour de Denis et de Jeanty Sarre, et, accoudés sur la crête de leur barricade, le cou tendu vers la redoute Mauconseil, ils regardaient, comme les gladiateurs de l’heure prochaine.

Les six hommes de cette redoute Mauconseil résistèrent au choc du bataillon près d’un quart d’heure. Ils ne tiraient pas ensemble, afin, comme disait l’un d’eux, de faire durer le plaisir longtemps. Plaisir de se faire tuer pour le devoir ; grande parole dans cette bouche d’ouvrier. Ils ne se replièrent dans les rues voisines qu’après avoir épuisé leurs munitions. Le dernier, celui qui avait trois coups de fusil, ne lâcha prise qu’au moment où les soldats escaladaient le sommet de la barricade.

Dans la barricade du Petit-Carreau il ne se prononçait pas une parole, on suivait toutes les phases de cette lutte, et l’on se serrait la main.

Tout à coup le bruit cessa, le dernier coup de fusil était tiré. Un moment après, on vit des chandelles allumées se poser sur toutes les fenêtres qui donnaient sur la redoute Mauconseil. Les bayonnettes et les plaques des shakos y étincelaient. La barricade était prise.

Le commandant du bataillon avait, ce qui est toujours usité en pareil cas, envoyé l’ordre aux maisons voisines d’éclairer toutes les croisées.

C’en était fait de la redoute Mauconseil.

En voyant que leur heure était venue, les soixante combattants de la barricade