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du peuple et du droit. Les généraux l’investissaient lentement, pas à pas, et de toutes parts. On concentrait les forces. Eux, ces combattants de l’heure fatale, ne savaient rien de ce qui se faisait. Seulement ils interrompaient de temps en temps leurs récits, et ils écoutaient. De la droite, de la gauche, de l’avant, de l’arrière, de tous les côtés à la fois, un bruit clair, à chaque instant plus sonore et plus distinct, rauque, éclatant, formidable, leur arrivait à travers la nuit. C’étaient les bataillons qui marchaient et chargeaient au clairon dans toutes les rues voisines. Ils reprenaient leur vaillante causerie, puis au bout d’un instant ils s’arrêtaient encore et prêtaient l’oreille à cette espèce de chant sinistre chanté par la mort qui s’approchait.

Quelques-uns pourtant pensaient encore n’être attaqués que le lendemain matin. Les combats de nuit sont rares dans la guerre des rues. Plus que tous les autres combats, ils ont des « hasards ». Peu de généraux s’y aventurent. Mais, parmi les anciens de la barricade, à de certains signes qui ne trompent jamais, on croyait à un assaut immédiat.

En effet, à dix heures et demie du soir – et non à huit heures, comme le dit le général Magnan dans le méprisable document qu’il appelle son rapport – un mouvement particulier s’entendit du côté des Halles. C’était la troupe qui s’ébranlait. Le colonel de Lourmel s’était déterminé à attaquer. Le 51e de ligne, posté à la pointe Saint-Eustache, entrait dans la rue Montorgueil. Le 2e bataillon formait l’avant-garde. Les grenadiers et les voltigeurs lancés au pas de course emportèrent rapidement les trois petites barricades qui étaient au delà de l’espèce de redoute de la rue Mauconseil, et les barricades peu défendues des rues voisines. C’est dans ce moment-là que fut forcée celle près de laquelle je me trouvais.

De la barricade du Petit-Carreau on entendait le combat de nuit s’approcher dans l’obscurité avec un bruit intermittent, étrange et terrible. C’étaient de grandes clameurs, puis des feux de peloton, puis le silence, et cela recommençait. L’éclair des fusillades faisait apparaître brusquement dans l’ombre les façades des maisons qui avaient quelque chose d’effaré.

Le moment suprême arrivait.

Les vedettes s’étaient repliées dans la barricade. Les postes avancés de la rue de Cléry et de la rue du Cadran étaient rentrés. On se compta. De ceux du matin pas un ne manquait. On était, nous l’avons dit, environ soixante combattants, et non cent, comme l’affirme le rapport Magnan.

De cette extrémité supérieure de la rue où ils étaient postés, il était difficile de se rendre bien compte de ce qui se passait. Ils ne savaient pas au juste combien il y avait de barricades dans la rue Montorgueil entre la leur et la pointe Saint-Eustache d’où la troupe s’élançait. Ils savaient seulement que