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Il y avait parmi eux peu d’ouvriers, mais ceux qui s’y trouvaient étaient intelligents et énergiques. Ces ouvriers étaient ce qu’on pourrait nommer l’élite de la foule.

Jeanty Sarre les avait rejoints ; il fut tout de suite le chef. Charpentier l’accompagnait, trop brave pour renoncer, mais trop rêveur pour commander.

Deux barricades enfermant de la même manière une quarantaine de mètres de la rue Montorgueil venaient d’être construites à la hauteur de la rue Mauconseil.

Trois autres barricades, mais très faibles, coupaient encore la rue Montorgueil dans l’intervalle qui sépare la rue Mauconseil de la pointe Saint-Eustache.

Le soir approchait La fusillade s’éteignait sur le boulevard. Une surprise était possible. Ils établirent un poste au coin de la rue du Cadran, et envoyèrent une grand’garde du côté de la rue Montmartre. Leurs éclaireurs revinrent leur donner quelques renseignements. Un régiment semblait s’apprêter à bivouaquer place des Victoires.

Leur position, forte en apparence, ne l’était pas en réalité. Ils étaient trop peu nombreux pour défendre à la fois sur la rue de Cléry et sur la rue Montorgueil les deux barricades, et la troupe arrivant par leurs derrières, couverte par la seconde barricade, eût été sur eux avant même d’être aperçue. Ceci les détermina à installer un poste rue de Cléry. Ils se mirent en communication avec les barricades de la rue du Cadran et avec les deux barricades Mauconseil. Ces deux dernières barricades n’étaient séparées d’eux que par un espace d’environ cent cinquante pas. Elles étaient hautes de plus de six pieds, assez solides, mais gardées par six ouvriers seulement qui les avaient construites.

Vers quatre heures et demie, au crépuscule, – le crépuscule arrive de bonne heure en décembre, – Jeanty Sarre prit avec lui quatre hommes et alla faire une reconnaissance. Il songeait aussi à élever une barricade avancée dans quelqu’une des petites rues voisines. Chemin faisant, ils en rencontrèrent une qui était abandonnée et qu’on avait construite avec des tonneaux. Mais les tonneaux étaient vides, un seul contenait quelques pavés, et l’on n’eût pu tenir là deux minutes. Comme ils sortaient de cette barricade, une brusque décharge les assaillit. Un peloton d’infanterie, à peine visible dans le petit jour qu’il faisait, était là tout près. Ils se replièrent précipitamment ; mais l’un d’eux, qui était un cordonnier du faubourg du Temple, avait été atteint et était resté sur le pavé. Ils revinrent sur leurs pas et l’emportèrent. Il avait le pouce de la main droite cassé. – Dieu merci, dit Jeanty Sarre, ils ne l’ont pas tué. – Non, dit le pauvre homme, c’est mon pain qu’ils ont tué.