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« Un témoin raconte [1]:

«… Le canon chargé à mitraille hache les devantures des maisons depuis le magasin du Prophète jusqu’à la rue Montmartre. Du boulevard Bonne-Nouvelle on a dû tirer aussi à boulet sur la maison Billecoq, car elle a été atteinte à l’angle du mur du côté d’Aubusson, et le boulet, après avoir percé le mur, a pénétré dans l’intérieur. »

« Un autre témoin, de ceux qui nient le coup de feu, dit[2] :

«On a cherché à atténuer cette fusillade et ces assassinats, en prétendant que des fenêtres de quelques maisons on avait tiré sur les troupes. Outre que le rapport officiel du général Magnan semble démentir ce bruit, j’affirme que les décharges ont été instantanées de la porte Saint-Denis à la porte Montmartre, et qu’il n’y a pas eu, avant la décharge générale, un seul coup tiré isolément, soit des fenêtres, soit par la troupe, du faubourg Saint-Denis au boulevard des Italiens. »

« Un autre, qui n’a pas non plus entendu le coup de feu, dit[3] :

« Les troupes défilaient devant le perron de Tortoni, où j’étais depuis vingt minutes environ, lorsque, avant qu’aucun bruit de coup de feu soit arrivé à nous, elles s’ébranlent ; la cavalerie prend le galop, l’infanterie le pas de course. Tout d’un coup nous voyons venir du côté du boulevard Poissonnière une nappe de feu qui s’étend et gagne rapidement. La fusillade commencée, je puis garantir qu’aucune explosion n’avait précédé, que pas un coup de fusil n’était parti des maisons depuis le café Frascati jusqu’à l’endroit où je me tenais. Enfin, nous voyons les canons des fusils des soldats qui étaient devant nous s’abaisser et nous menacer. Nous nous réfugions rue Taitbout, sous une porte cochère. Au même moment les balles passent par-dessus nous. Une femme est tuée à dix pas de moi au moment où je me cachais sous la porte cochère. Il n’y avait là, je peux le jurer, ni barricade ni insurgés ; il y avait des chasseurs, et du gibier qui fuyait, voilà tout. »

« Cette image « chasseurs et gibier » est celle qui vient tout d’abord à l’esprit de ceux qui ont vu cette chose épouvantable. Nous retrouvons l’image dans les paroles d’un autre témoin[4] :

«… On voyait les gendarmes mobiles dans le bout de ma rue, et je sais qu’il en était de même dans le voisinage, tenant leurs fusils et se tenant eux-mêmes dans la position du chasseur qui attend le départ du gibier, c’est-à-dire le fusil près de l’épaule pour être plus prompt à ajuster et tirer.

« Aussi, pour prodiguer les premiers soins aux blessés tombés dans la rue Montmartre près des portes, voyait-on de distance en distance les portes

  1. [Auguste Vié.]
  2. [Jules Gouache]
  3. [Gaspard de Cherville]
  4. [Auguste Vié]