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le cou coupé tous les matins et qui s’appelle le Constitutionnel. M. Bonaparte peut tout ce qu’il lui plaît sur les biens, sur les familles, sur les personnes. Si les citoyens français veulent savoir la profondeur du « gouvernement » dans lequel ils sont tombés, ils n’ont qu’à s’adresser à eux-mêmes quelques questions. Voyons, juge, il t’arrache ta robe et t’envoie en prison. Après ? Voyons, sénat, conseil d’État, corps législatif, il saisit une pelle et fait de vous un tas dans un coin. Après ? Toi, propriétaire, il te confisque ta maison d’été et ta maison d’hiver avec cours, écuries, jardins et dépendances. Après ? Toi, père, il te prend ta fille ; toi, frère, il te prend ta sœur ; toi, bourgeois, il te prend ta femme, d’autorité, de vive force. Après ? Toi, passant, ton visage lui déplaît, il te casse la tête d’un coup de pistolet et rentre chez lui. Après ?

Toutes ces choses faites, qu’en résulterait-il ? Rien. Monseigneur le prince-président a fait hier sa promenade habituelle aux Champs-Elysées dans une calèche à la Daumont attelée de quatre chevaux, accompagné d’un seul aide de camp. Voilà ce que diront les journaux.

Il a effacé des murs Liberté, Egalité, Fraternité. Il a eu raison. Ah ! français ! vous n’êtes plus ni libres, le gilet de force est là ; ni égaux, l’homme de guerre est tout ; ni frères, la guerre civile couve sous cette lugubre paix d’état de siège.

Empereur ? pourquoi pas ? il a un Maury qui s’appelle Sibour ; il a un Fontanes, un Faciunt asinos, si vous l’aimez mieux, qui s’appelle Fortoul ; il a un Laplace qui répond au nom de Leverrier, mais qui n’a pas fait la Mécanique Céleste. Il trouvera aisément des Esménard et des Luce de Lancival. Son Pie VII est à Rome dans la soutane de Pie IX. Son uniforme vert, on l’a vu à Strasbourg ; son aigle, on l’a vu à Boulogne ; sa redingote grise, ne la portait-il pas à Ham ? casaque ou redingote, c’est tout un. Madame de Staël sort de chez lui. Elle a écrit Lélia. Il lui sourit, en attendant qu’il l’exile. Tenez-vous à une archiduchesse ? attendez un peu, il en aura une. Tu, felix Austria, nube. Son Murat se nomme Saint-Arnaud, son Talleyrand se nomme Morny, son duc d’Enghien s’appelle le droit.

Regardez, que lui manque-t-il ? rien ; peu de chose ; à peine Austerlitz et Marengo.

Prenez-en votre parti, il est empereur in petto ; un de ces matins, il le sera au soleil ; il ne faut plus qu’une toute petite formalité, la chose de faire sacrer et couronner à Notre-Dame son faux serment. Après quoi ce sera beau ; attendez-vous à un spectacle impérial. Attendez-vous aux caprices. Attendez-vous aux surprises, aux stupeurs, aux ébahissements, aux alliances de mots les plus inouïes, aux cacophonies les plus intrépides ; attendez-vous au prince Troplong, au duc Maupas, au duc Mimerel, au marquis Lebœuf,