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était destinée. Cependant le général Lamoricière ayant été mené par mégarde dans la chambre de Cavaignac, les deux généraux purent échanger encore une poignée de main. Le général Lamoricière désira écrire à sa femme ; la seule lettre dont les commissaires de police consentirent à se charger fut un billet portant cette ligne : « Je me porte bien ».

Le principal corps de logis de la prison de Ham est composé d’un étage au-dessus d’un rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée, traversé d’une voûte obscure et surbaissée qui va de la cour principale dans une arrière-cour, contient trois chambres séparées par un couloir ; le premier étage a cinq chambres. L’une des trois chambres du rez-de-chaussée n’est qu’un petit cabinet à peu près inhabitable ; on y logea M. Baze. On installa dans les deux autres chambres d’en bas le général Lamoricière et le général Changarnier. Les cinq autres prisonniers furent distribués dans les cinq chambres du premier étage.

La chambre assignée au général Lamoricière avait été occupée, du temps de la captivité des ministres de Charles X, par l’ex-ministre de la marine, M. d’Haussez. C’était une pièce basse, humide, longtemps inhabitée, qui avait servi de chapelle, contiguë à la voûte noire qui allait d’une cour à l’autre, planchéiée de grosses planches visqueuses et moisies où le pied s’engluait, tapissée d’un papier gris devenu vert qui tombait par lambeaux, salpêtrée du plancher au plafond, éclairée sur la cour de deux fenêtres grillées qu’il fallait toujours laisser ouvertes à cause de la cheminée qui fumait. Au fond le lit, entre les fenêtres une table et deux chaises de paille. L’eau suintait sur les murs. Lorsque le général Lamoricière a quitté cette chambre, il en a emporté des rhumatismes ; M. d’Haussez en était sorti perclus.

Quand les huit prisonniers furent entrés dans leur chambre, on ferma la porte sur eux ; ils entendirent tirer les verrous du dehors et on leur dit : – Vous êtes au secret.

Le général Cavaignac occupa, au premier, l’ancienne chambre de M. Louis Bonaparte, la meilleure de la prison. La première chose qui frappa les yeux du général, ce fut une inscription tracée sur le mur et indiquant le jour où Louis Bonaparte était entré dans cette forteresse, et le jour où il en était sorti, on sait comment, déguisé en maçon et une planche sur l’épaule. Du reste, le choix de ce logis était une attention de M. Louis Bonaparte qui, ayant pris en 1848 la place du général Cavaignac au pouvoir, voulut qu’en 1851 le général Cavaignac prît sa place en prison.

— Chassez-croisez ! avait dit Morny en souriant.

Les prisonniers étaient gardés par le 48e de ligne qui tenait garnison à Ham. Les vieilles bastilles sont indifférentes. Elles obéissent à ceux qui font les coups d’État jusqu’au jour où elles les saisissent. Que leur importent