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A l’Elysée le tremblement commençait. L’ex-commandant Fleury, un des aides de camp de la présidence, fut appelé dans le cabinet où M. Bonaparte s’était tenu toute la journée. M. Bonaparte s’entretint quelques instants seul avec M. Fleury, puis l’aide de camp sortit du cabinet, monta à cheval et partit au galop dans la direction de Mazas.

Ensuite les hommes du coup d’État, réunis dans le cabinet de M. Bonaparte, tinrent conseil. Leurs affaires allaient visiblement mal ; il était probable que la bataille finirait par prendre des proportions redoutables ; jusque-là on l’avait désirée, maintenant on n’était pas bien sûr de ne pas la craindre. On y poussait, en s’en défiant. Il y avait des symptômes alarmants dans la fermeté de la résistance et d’autres non moins graves dans la lâcheté des adhérents. Pas un des nouveaux ministres nommés le matin n’avait pris possession de son ministère ; timidité significative de la part de gens si prompts d’ordinaire à se ruer sur les choses. M. Rouher, particulièrement, avait plongé on ne savait où. Signe d’orage. Louis Bonaparte mis à part, le coup d’État continuait à peser uniquement sur trois noms, Morny, Saint-Arnaud et Maupas. Saint-Arnaud répondait de Magnan. Morny riait et disait à demi-voix : Mais Magnan répond-il de Saint-Arnaud ? Ces hommes prirent des mesures ; ils firent venir de nouveaux régiments ; l’ordre aux garnisons de marcher sur Paris fut envoyé d’une part jusqu’à Cherbourg et de l’autre jusqu’à Maubeuge. Ces coupables, profondément inquiets au fond, cherchaient à se tromper les uns les autres ; ils faisaient bonne contenance entre eux ; tous parlaient de victoire certaine ; chacun en arrière arrangeait sa fuite, en secret et sans rien dire, afin de ne pas donner l’éveil aux autres compromis, et, en cas d’insuccès, de laisser au peuple quelques hommes à dévorer. Pour cette petite école des singes de Machiavel, la condition d’une bonne évasion, c’est d’abandonner ses amis ; en s’enfuyant on jette ses complices derrière soi.