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s’installer place Vendôme. Tout ce qui se faisait était-il bien correct ? Dans de certaines âmes, le doute du succès se change en scrupule de conscience. Violer toutes les lois, se parjurer, égorger le droit, assassiner la patrie, est-ce bien honnête ? Tant que le fait n’est pas accompli, on recule ; quand la chose a réussi, on s’y précipite. Où il y a victoire, il n’y a plus forfaiture ; rien n’est tel que le succès pour débarbouiller et rendre acceptable cet inconnu qu’on appelle le crime. Dans les premiers moments, M. Rouher se réserva. Plus tard, il a été un des plus violents conseillers de Louis Bonaparte. C’est tout simple. Sa peur avant explique son zèle après.

La vérité, c’est que les paroles menaçantes avaient été dites, non par Rouher, mais par Persigny.

M. de Luynes fit part à ses collègues de ce qui se préparait et les prévint qu’on allait venir leur demander leurs noms afin de séparer les brebis blanches des boucs écarlates. Un murmure qui parut unanime s’éleva. Des manifestations généreuses honorèrent les représentants de la droite.

— Non ! non ! ne nommons personne ! Ne nous laissons pas trier ! s’écria M. Gustave de Beaumont.

M. de Vatimesnil ajouta : – Nous sommes entrés ici tous ensemble ; nous devons en sortir tous ensemble.

Toutefois on vint avertir quelques instants après Antony Thouret qu’une liste des noms se faisait secrètement et que les représentants royalistes étaient invités à la signer. On attribuait, à tort sans doute, cette résolution peu noble à l’honorable M. de Falloux.

Antony Thouret prit vivement la parole au milieu des groupes qui bourdonnaient dans le dortoir.

— Messieurs, s’écria-t-il, une liste des noms se fait. Ce serait une indignité. Hier, à la mairie du Xe arrondissement, vous nous disiez : il n’y a plus ni gauche ni droite ; nous sommes l’Assemblée. Vous croyiez à la victoire du peuple, et vous vous abritiez derrière nous républicains. Aujourd’hui vous croyez à la victoire du coup d’État, et vous redeviendriez royalistes pour nous livrer, nous démocrates ! Fort bien, faites !

Une clameur générale s’éleva.

— Non, non, plus de droite ni de gauche. Tous sont l’Assemblée ! Le même sort pour tous !

La liste commencée fut saisie et brûlée.

— Par décision de la Chambre, dit M. de Vatimesnil en souriant.

Un représentant légitimiste ajouta :

— De la Chambre, non ! Dites de la chambrée.

Quelques instants après, le commandant du fort se présenta ; et en termes polis, mais qui sentaient l’injonction, invita les représentants du peuple à