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vii
L’ARCHEVÈQUE.

Dans cette journée obscure et tragique une idée vint à un homme du peuple.

C’était un ouvrier appartenant à l’honnête et imperceptible minorité des démocrates catholiques. La double exaltation de son esprit, révolutionnaire d’un côté, mystique de l’autre, le rendait. un peu suspect dans le peuple, même à ses camarades et à ses amis. Assez dévot pour être appelé jésuite par les socialistes, assez républicain pour être appelé rouge par les réacteurs, il était dans les ateliers du faubourg une exception. Or ce qu’il faut, dans les conjonctures suprêmes, pour saisir et gouverner les masses, ce sont les exceptions par le génie, non les exceptions par l’opinion. Il n’y a pas d’originalité révolutionnaire. Pour être quelque chose dans les temps de régénération et dans les jours de lutte sociale, il faut baigner en plein dans les puissants milieux homogènes qu’on appelle les partis. Les grands courants d’hommes suivent les grands courants d’idées, et le vrai chef révolutionnaire est celui qui sait le mieux pousser ceux-ci dans le sens de celles-là.

Or, l’évangile est d’accord avec la Révolution, mais le catholicisme non. Cela tient à ce que la papauté n’est pas d’accord avec l’évangile. On comprend à merveille le républicain chrétien, on ne comprend pas le démocrate catholique. C’est un composé de deux contraires. C’est un esprit dans lequel la négation barre le passage à l’affirmation. C’est un neutre.

Or, en temps de révolution, qui dit neutre dit impuissant.

Pourtant, dès les premières heures de la résistance au coup d’État, l’ouvrier catholique-démocrate dont nous racontons ici le noble effort se jeta si résolument dans la cause du juste et du vrai qu’en peu d’instants il changea la défiance en confiance et fut acclamé par le peuple. Il fut si vaillant à la construction de la barricade de la rue Aumaire que d’une voix unanime on l’en nomma chef. Au moment de l’attaque, il la défendit comme il l’avait bâtie, ardemment. Ce fut là un triste et glorieux champ de combat ; la plupart de ses compagnons y furent tués, et lui n’échappa que par miracle.

Cependant il parvint à rentrer chez lui, et il se dit avec angoisse : – Tout est perdu.

Il lui semblait évident que les profondes masses du peuple ne se soulèveraient pas. Vaincre le coup d’État par une révolution, cela paraissait désormais impossible ; on ne pouvait plus le combattre que par la légalité. Ce qui avait