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tion, qui l’avait faite ? Louis Bonaparte. Nous, nous l’acceptions telle qu’elle était, rien de plus.

Émile de Girardin, ferme, logique, absolu dans son idée, persista. Quelques-uns pouvaient être ébranlés. Les arguments, si abondants dans ce vigoureux et inépuisable esprit, lui arrivaient en foule. Quant à moi, je voyais devant moi le devoir comme un flambeau.

Je l’interrompis, je m’écriai : – Il est trop tard pour délibérer sur ce qu’on fera. Ce n’est pas à faire. C’est fait. Le gant du coup d’État est jeté, la gauche le ramasse. C’est aussi simple que cela. L’acte du Deux-Décembre est un défi infâme, insolent, inouï, à la démocratie, à la civilisation, à la liberté, au peuple, à la France. Je répète que nous avons ramassé ce gant. Nous sommes la loi, mais la loi vivante qui peut s’armer au besoin et combattre. Un fusil dans nos mains, c’est une protestation. Je ne sais pas si nous vaincrons, mais nous devons protester. Protester dans le parlement d’abord ; le parlement fermé, protester dans la rue ; la rue fermée, protester dans l’exil ; l’exil accompli, protester dans la tombe. Voilà notre rôle à nous, notre fonction, notre mission. Le mandat des représentants est élastique ; le peuple le donne, les événements l’élargissent.

Pendant que nous délibérions, notre collègue Napoléon Bonaparte, fils de l’ancien roi de Westphalie, était survenu. Il écoutait. Il prit la parole. Il flétrit énergiquement et avec l’accent d’une indignation sincère et généreuse le crime de son cousin, mais il déclara que dans sa pensée une protestation écrite suffisait, protestation des représentants, protestation du conseil d’État, protestation des magistrats, protestation de la presse ; que cette protestation serait unanime et éclairerait la France, que pour toute autre forme de résistance on n’aurait pas l’unanimité. Que, quant à lui, ayant toujours trouvé la Constitution mauvaise, l’ayant dans la Constituante combattue dès le premier instant, il ne la défendrait pas le dernier jour ; il ne donnerait, certes, pas une goutte de sang pour elle. Que la Constitution était morte, mais que la République était vivante ; et qu’il fallait sauver, non la Constitution, cadavre, mais la République, principe !

Les réclamations éclatèrent. Bancel, jeune, ardent, éloquent, impétueux, tout débordant de conviction, s’écria que ce qu’il fallait voir, ce n’était pas les défauts de la Constitution, mais l’horreur du crime commis, la trahison flagrante, le serment violé ; il déclara qu’on pouvait avoir voté contre la Constitution dans l’Assemblée constituante et la défendre aujourd’hui en présence d’un usurpateur, et que c’était logique, et que plusieurs d’entre nous étaient dans ce cas. Il me cita comme exemple. – Preuve, dit-il, Victor Hugo. – Il termina ainsi : – Vous avez assisté à la construction d’un navire, vous l’avez trouvé mal bâti, vous avez donné des conseils qui n’ont pas été