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tants au peuple, c’était le courage personnel. Ne laisser s’éteindre aucune étincelle, marcher les premiers, marcher en avant, c’était là le devoir. L’apparence d’une hésitation aurait été plus funeste en effet que toutes les témérités.

Schœlcher est une nature de héros ; il a la superbe impatience du danger.

— Allons, s’écria-t-il, nos amis nous rejoindront. Sortons.

Ils n’avaient pas d’armes.

— Désarmons le poste qui est là, dit Schœlcher.

Ils sortirent de la salle Roysin en ordre, deux par deux, se tenant sous le bras. Quinze ou vingt hommes du peuple leur faisaient cortège. Ils allaient devant eux criant : Vive la République ! Aux armes !

Quelques enfants les précédaient et les suivaient en criant : Vive la Montagne !

Les boutiques fermées s’entr’ouvraient. Quelques hommes paraissaient au seuil des portes, quelques femmes se montraient aux fenêtres. Des groupes d’ouvriers qui allaient à leur travail les regardaient passer. On criait : Vivent nos représentants ! Vive la République !

La sympathie était partout, mais nulle part l’insurrection. Le cortège se grossit peu chemin faisant.

Un homme qui menait un cheval sellé s’était joint à eux. On ne savait qui était cet homme, ni d’où venait ce cheval. Cela avait l’air de s’offrir à quelqu’un qui voudrait s’enfuir. Le représentant Dulac ordonna à cet homme de s’éloigner.

Ils arrivèrent ainsi au corps de garde de la rue de Montreuil. A leur approche, la sentinelle poussa le cri d’alerte, et les soldats sortirent du poste en tumulte.

Schœlcher calme, impassible, en manchettes et en cravate blanche, vêtu de noir comme à l’ordinaire, boutonné jusqu’au cou dans sa redingote serrée, avec l’air intrépide et fraternel d’un quaker, marcha droit à eux :

— Camarades, leur dit-il, nous sommes les représentants du peuple, et nous venons au nom du peuple vous demander vos armes pour la défense de la Constitution et des lois.

Le poste se laissa désarmer. Le sergent seul fit mine de résister, mais on lui dit : – Vous êtes seul – et il céda. Les représentants distribuèrent les fusils et les cartouches au groupe résolu qui les entourait.

Quelques soldats s’écrièrent : — Pourquoi nous prenez-vous nos fusils ? Nous nous battrions pour vous et avec vous.

Les représentants se demandèrent s’ils accepteraient cette offre. Schœlcher y inclinait. Mais l’un d’eux fit observer que quelques gardes mobiles avaient